samedi 11 juillet 2009

René Daumal (2)

.....L'AUTRE ABANDON

Il marchait, la main sur mon épaule
il parlait, et mes lèvres remuaient avec les siennes,
des soleils voltigeaient dans sa bouche,
et le vent nous portait.
Mais sitôt que j'eus dit : "Où allons-nous ?",
il s'est éparpillé en fantômes,
je patauge, et le reconnais mal,
je me vois marcher,
je m'entends parler,
et le vent me secoue les épaules,
je saigne du nez sur les places publiques.
Mais où sont ses lèvres blondes
et l'odeur d'argile mouillée de ses mains,
et ses yeux bourdonnant d'univers ?
J'ai désappris à le voir,
je vais donner du front dans des faces absurdes,
dans des lilas de peau vivante,
et des instruments ridicules,
je suis affreux.

René Daumal, Le Contre-Ciel, suivi de Les dernières paroles du poète, Poésie/Gallimard.

René Daumal (1)

.....APRÈS

.....Je vais renaître sans cœur,
toujours dans le même univers,
toujours portant la même tête,
les mêmes mains,
peut-être changées de couleurs,
mais cela même ne me consolerait point.
......Je serai cruel et seul
et je mangerai des couleuvres
et des insectes crus.
......Je ne parlerai à personne,
sinon en paroles d’insectes
ou de couleuvres nues,
en mots qui vivront et riront malgré moi.




.....LA NAUSÉE D'ÊTRE

Je ne suis pas venu au monde
pour forger des bras aux centaures,
pour donner mon sang aux mouchoirs
qui sèchent au clair de lune.

Je ne suis pas venu au monde
pour combattre mon ombre,
ni pour trouver un jour mes poings
becqueté par les faisans.

Je ne suis pas venu pour frapper
ni pour rire à la mort.
Je ne me souviens plus,
des civières s’en vont,
des galères flambent,
des genoux tremblent et des faucons se posent
sur des boules fragiles et vivantes.

Si je regarde en arrière,
la mort s’en va à reculons,
indéfiniment des portes claquent,
jusqu’aux placards de l’horizon.

La mort au rire vulgaire
derrière ses persiennes vertes
suce un bonbon anglais
et les tapis sont mouillés de tisanes.

Je ne suis pas venu au monde,
au commencement il n’y a qu’un grand rire,
au coin d’une rue une poupée de plâtre
ouvre, en suant une eau verte de rage,
des boîtes qui ne contiennent que des boîtes,
et sans fin des boîtes.

Plus loin, comme un cœur suce le sang,
un trou dans une chair gigantesque m’aspire,
des murs vivants, rouges et chauds,
me traînent par la gorge,
je ne veux plus me retourner,
que tout à l’heure on m’assassine
d’un coup de couteau de cuisine
entre les deux épaules.

René Daumal, Le Contre-Ciel, suivi de Les dernières paroles du poète, Poésie/Gallimard.

dimanche 5 juillet 2009

Richard Rognet (2)

Tu refuses que décline
l'espérance et que
s'enlise dans l'oubli
la prière des amants,

tu revois tant de géraniums
sur le rebord des fenêtres,
tant de reflets, après la
pluie, sur les jardins, tu

entends encore les chansons
que fredonnaient les filles,
le soir, avant de rentrer,
chez elles. Tu te consoles

avec ces ombres mais cet
amour, ô cet amour qui éclaira
si fort ta jeunesse, ton corps
l'implore, aujourd'hui.

°°°°

Ne cherchez pas, ne
cherchez plus, sous
quels arcs-en-ciel,
vous trembliez d'amour,

non, ne cherchez
plus rien, les
étoiles ont filé
avec nos souvenirs,

vous ne reverrez pas
les sommets familiers
qui préparèrent vos
espoirs tout votre

être s'enlise, dans
un présent plus lourd
que les neiges souillées
par des pas importuns.

Richard Rognet, Un peu d'ombre sera la réponse, Gallimard.

samedi 4 juillet 2009

Richard Rognet (1)

La sauge et le thym
se réveillent dans
une tache de soleil
qui va grandir jusqu’à

midi. Pas un souffle
de vent, l’immobilité
règne. Nous nous sommes

quittés sans rien
savoir de nous. Près
du mur que la lumière

égratigne, un chien
roux se repose je
me blottis dans son
regard inépuisable.

° ° °

Tu aimes que sur le
mur, la lumière acide
du soleil harponne

les ombres élancées
des plantes. Par endroits,
se croisent, se chevauchent
des formes, des fragments

d’infini ils traversent
ton corps et suivent
dans ton sang les bonds
et les rebonds du ruisseau

qui bredouillait, jadis,
près de ce mur, et dont
les miroitements éclataient
en pétales impalpables.

° ° °

Immobilité de midi
le soleil prend le pouls
des branches. D’offrandes

et de refus, c’est ainsi
que le temps se nourrit,

aimer déchire les mains
qui se sont posées sur
les corps, par mégarde
ou par volonté. Le ciel

fut trop noir, la terre trop
obscure, il faut travailler
au moindre détail, dans
la lumière de midi.


Richard Rognet, Un peu d’ombre sera la réponse, Gallimard