lundi 28 mai 2012

Naturae (2)



 

dimanche 27 mai 2012

Naturae

 
 

Ernst Jünger (2)


VOYAGE ATLANTIQUE

Le bateau est resté deux jours devant Ponta Delgada, chef lieu de Sao Miguel des Açores. Terrains cultivés, fermes blanches se succèdent sur un sombre arrière-plan de chaînes volcaniques. Comme toujours à la vue des îles, j'ai eu l'impression d'y reconnaître un pays natal.
À terre avec un canot. En débarquant, et à considérer une vague qui,se déroulait légère sous la jetée baignée de soleil, j'ai goûté un de ces moments de puissante intuition dont la survenance n'est que trop rare. J'ai cru reconnaître, en des lueurs glauques de vie, la fécondité prodigieuse de l'élément, la haute plénitude de cette sérénité qui a pour demeure les palais de Neptune. Si nos yeux bénéficiaient constamment d'une telle vertu, nous serions admis comme les anciens à la table des dieux. Mais ce n'est là, certes qu'un avant-goût d'un monde moins périssable.
Je fais connaissance avec bon nombre de plantes, en découvre d'autres à l'état de nature que je n'avais jusqu'ici rencontrées que dans les jardins et les serres. Ainsi de palmiers dont le tronc s'enlève comme une bouteille posée sur son goulot, d'autres que supporte un soubassement d'échasses. Un datura arborescent, dont la floraison rose se balance au vent comme un chapeau chinois, décore la plupart des jardins à côté des buissons vert de gris d'une euphorbe qui se couronne, comme d'éclatants plateaux, de fleurs si rouges qu'on les croirait artificielles. À leur pied un grand lis écarlate darde ses étamines semblables à des langues-de-loup. Mais plus étrange encore sont d'énormes araucarias dont les branches écailleuses se déploient alentour telles de coriaces filins, et les raides feuillades aussi de ces dragonniers qui, blessés, distillent une résine rouge comme sang.

Ernst Jünger, Voyage atlantique, La table ronde.
 

Ernst Jünger (1)

SÉJOUR DALMATE

Plus haut, sur la crête avancée du roc, repose le petit couvent de Suttomonte dont la cloche accompagne de son tintement les navires qui passent en mer. De là, on embrassait dans sa pleine expression le rapide élancement des rampes de la montagne. D'épaisses cyprières donnaient à ces versants un aspects singulier. La forme du cyprès est en effet si prononcée que, même ici où ils venaient réunis par milliers, le mot forêt semblait hors de propos.

Entre ces fuseaux de feuillage, qui frémissaient comme des flammes vertes sous la lumière, des masses de lauriers roses à fleurs rouges, dans les ravines, s'étiraient vers l'aval en larges torrents de feu.

Parmi les criques qui se reliaient entre elles en chaîne de conques rocheuses, nous en avions choisi une en bordure de laquelle un bois de pins maritimes promettait quelque ombrage. Ce bel arbre réussit aux endroits où il trouve, pour plonger ses racines, un sol sablonneux imbibé de l'eau saline de la mer, et, pour déployer ses hautes ramures, les brûlantes couches d'air que crée le soleil au-dessus des dunes scintillantes. Devant ce bois, et en dernier avant-poste du règne végétal, s'étendait encore une étroite bande de plantes côtières. Là venaient le jaune et duveteux pavot maritime ainsi qu'un genre d'euphorbe de la couleur du bronze. D'entre les pierres, une frankénie pointait ses feuilles triquètres comme de longs cristaux pulpeux ; ses feuilles ressemblaient à de lumineux petits soleils à chevelure rouge.

Ernst Jünger, Voyage atlantique, La table ronde

jeudi 24 mai 2012

William Cliff (4)

EN ORIENT

Lahore

7

Je me suis fait monter du thé je vis
ici comme un vieux colonial anglais
les gens avec moi sont charmants c'est tel-
lement rare pour eux de voir un Blanc
qui se paie en plus le luxe de leur 
sourire les garçons sont beaux les vieil-
lards admirables il n'y a pas ici
de nos hideux bourgeois bouffis de graisse
hélas la crasse et la poussière le 
bruit l'encombrement Lahore Lahore
dans ce sous-continent tu vis pourtant
mieux que nombre d'autres villes demain 
je prends le train pour Amritsar où les 
Sikhs révoltés répandent la terreur

Bénarès

2

je veux à nouveau m'aller promener
sur les berges du fleuve
voir le Fort implanté sur l'autre rive 
et qui semble avoir sa raison
dans le vœu même du paysage 

là le vent soulève
des armées de poussière
la foule des vélos
fait du bruit sur le pont flottant
les filets sont mis à sécher
dans la courbe du fleuve on voit la ville 
où jours et nuits les cadavres pelés
supplient des bras et des genoux
dans les bûchers hurlants















William Cliff, America suivi de En orient, Poésie/Gallimard

dimanche 20 mai 2012

Tomas Tranströmer (4)

Karl Nordstrom - "Kyrkesund" 

LORSQUE NOUS REVÎMES LES ÎLES

Lorsque le bateau approche au loin
l'averse survient et l'aveugle soudain.
Les gouttes de mercure frémissent sur les vagues
et le gris-bleu s'étend.

L'océan s'en va jusque dans les cabanes.
Une lueur dans l'obscurité du vestibule.
Des pas lourds à l'étage
et ces coffres aux sourires fraîchement repeints.
Un orchestre indien de récipients de cuivre.
Un nouveau-né aux yeux de houle.

(La pluie cesse peu à peu.
La fumée fait quelques pas dans l'air
et chancelle au-dessus du toit.)

Voici encore davantage de choses
plus grandes que dans vos rêves.

La plage et les huttes des anguilles.
Une affiche portant l'inscription CÂBLE.
La vieille lande brille
pour celui qui vient à tire d'aile.

De fertiles lopins, derrière les rochers
et l'épouvantail, notre sentinelle
qui appelle les couleurs.

Cet étonnement toujours aussi immense
quand l'île me tend la main
et me tire de ma tristesse.

Tomas Tranströmer, in : Il pleut des étoiles dans notre lit. Cinq poètes du Grand Nord. Poésie/Gallimard

Truphemus



 

Erri de Luca (8)

Maison
 
Derrière le tournant je la retrouve,
elle est encore là, la maison, ni écroulée, ni brûlée.
Elle est plus vieille que moi,
je l'ai rénovée quand j'étais moi aussi en temps de rénovation.
S'écroulerait-elle que je ne me mordrais pas les mains
et je ne pesterais pas de rester sans toit.
J'ai encore le temps de voyager,
le bagage léger frapper aux portes
sans posséder de clés.
Je dois ça aux histoires, de me suffire,
moi aussi de leur suffire.
Avec crayon et cahier je peux écrire même quand gèle
l'encre dans mon stylo.
C'est la part qui me fut assignée,
héritage qu'on ne peut recevoir et laisser.
Je suis fait de ça, de pages feuilletées
et puis reposées.
 
Erri de Luca, Aller simple, Poèmes. Traduit par Danièle Valin. Gallimard




Combas (2)

 



 

Combas (1)