samedi 23 mai 2009

Olav H. Hauge (3)











F. Monnet

CHANT, CHEMINE LÉGER SUR MON CŒUR

Chant, chemine léger sur mon cœur,
chemine léger
comme la bruyère des marais
sur la fagne détrempée,
comme l'oiseau du matin
sur la glace d'une nuit.
Briserais-tu l'écorce de ma peine,
tu te noierais,
chant.

Olav H. Hauge. Nord profond. Bleu autour.

Olav H. Hauge (2)

PRINTEMPS DANS LES MONTAGNES

Aujourd’hui les flocons de neige
dansent comme de jeunes rennes
s'affrontant dans le soleil.
La rivière cravache
sur le chemin du retour
emportant l’hiver avec elle.
Le pluvier doré est là et,
sur les pentes,
l'herbe verte.

Olav H. Hauge.
Nord profond
. Bleu autour.

Olav H. Hauge (1)











F. Monnet

C'EST LE RÊVE


C'est le rêve que nous portons
que quelque chose
va arriver,
que ça doit arriver -
que le temps va s'ouvrir
que le cœur va s'ouvrir
que les portes vont s'ouvrir
que la roche va s'ouvrir
que les sources vont jaillir -
que le rêve va s'ouvrir,
qu'au point du jour
nous glisserons sur la vague
vers une anse
dont nous ne savions rien.

Olav H. Hauge. Nord profond. Bleu autour.

Yannis Ritsos (2)

(...)

Dans la rue du haut, te disais-je, c'est magnifique
-- les magasins les plus invraisemblables du monde
.... -- brocanteurs, bougnats, épiciers,
boutiques de barbier avec de vieilles lithos
.... et de lourds fauteuils conspirateurs,
boucheries avec de grandes glaces répercutant en
.... une litanie rouge
les agneaux et les bœufs égorgés,
fruiteries et poissonneries conjuguant les odeurs
.... de leurs étals,
un bruit suspect, silencieux, devant les portes,
un éclairage muet comme le miroitement d'une tôle
.... en fer-blanc
ou de longues planches jaunes, vernies,
dressées contre la façade de la menuiserie.
On vend de tout pêle-mêle là-haut,
imperméables, volaille, foulards, bouteilles, peignes,
boîtes de biscuits en fer, cercueils bon marché,
.... savonnettes,
cabines rouillées de navires naufragés qu'on a mis
.... aux enchères
puis qu'on a remontées du fond par éléments,
soies en franchise de divers pays avec des motifs
.... et des couleurs de toutes sortes,
services japonais, haschisch, nappes,
et d'étranges cages à coupole comme des églises
.... inachevées
à l'intérieur desquelles des oiseaux rose et or,
inconnus, observent
le trafic de la rue avec des yeux lointains,
.... impénétrables
comme deux pierres noires et jaunes subtilisées,
.... de nuit, par les doigts des trépassés.

Des enfants pieds nus jouent aux dés au beau milieu
.... de la rue,
des femmes couchent avec des marins dans des
.... chambres au plafond bas et aux fenêtres
.... ouvertes,
des petits marchands ambulants basanés pissent
.... alignés devant le mur de l'enclos ;
dans les paniers, les poissons scintillent par inter-
.... mittence comme de longs couteaux ensanglantés
et parfois une abeille égarée
voltige, perplexe, là-bas, en bourdonnant
et en laissant dans l'air les spires métalliques et
.... dorées de son tourbillon
comme les petits ressorts du jouet éventré d'un gosse.

Un nuage de poussière se déplace lentement dans
.... le crépuscule entre les visages,
secret vermeil d'haleines, de sueurs, d'intérêts et
.... de crimes,
profond secret d'une faim inépuisable hâtivement
.... rassasiée,
un va-et-vient incessant, un marchandage, incessant,
.... une dépense incessante
entretenant le commerce, les ambitions,
.... les spéculations, la vie tout bonnement,
au point que tu aperçois parfois une belle fille à
.... la jupe proprette et fleurie
dans la rue charbonneuse, près de la voiture du
.... marchand de pistaches, parmi les sacs,
une fille éclairée toute entière par la mer
et qui sourit en découvrant deux rangées de dents
.... immaculées vers la sirène d'un navire.

Autour d'elle, les citrons pourris brillent comme
.... de petits soleils ;
un rideau de cretonne, tiré de côté à une fenêtre
.... basse
est comme la page d'un livre aimé dont on a plié
.... le coin
pour s'en souvenir un jour et le relire.

...

Yannis Ritsos. La fenêtre. Fata Morgana

vendredi 22 mai 2009

Yannis Ritsos (1)

Me voici installé à la fenêtre ; je regarde les
....passants

et je me regarde dans leurs yeux.
J'ai l'impression d'être
une photo silencieuse dans son vieux cadre,
accrochée à l'extérieur de la maison, sur le
....mur d'ouest,

moi et ma fenêtre.

.............Je regarde parfois moi-même
cette photo aux yeux sensuels, fatigués --
une ombre cache la bouche ; par instants,
....
la lueur plate de la vitre,
face au couchant et au clair de lune,
masque entièrement le visage et me voici dérobé
derrière un rectangle de lumière pâle, argent ou rosé,
et je peux librement contempler le monde
sans que personne ne me voie. Librement ;
....-- que veux-tu ?
Je ne puis bouger ; dans mon dos,
le mur humide ou incandescent ; contre ma poitrine,
la vitre glaciale ; les veinules de mes yeux
ramifiées au sein du verre. Et ainsi, coincé
entre le mur et la vitre, je n'ose déplacer mon bras,
porter ma main à mes sourcils quand le soleil brille
comme une gloire implacable ; et je suis contraint
à regarder, à vouloir et à ne pas bouger. Si j'esquisse
le moindre geste, mon coude
peut briser la vitre et il me restera
au flanc un trou béant à la pluie et aux regards.

Si j'essaye de parler, le souffle de ma voix
ternit la vitre - comme c'est le cas en ce moment -
et je ne vois plus ce que j'ai l'intention d'évoquer.

Silence et immobilité donc. On pourrait même
....parler d'hypocrisie
car tu sais, peut-être, combien de cris crucifiés,
combien de gestes agenouillés logent
derrière cette splendeur verticale, cristalline.
Notamment lorsque la nuit tombe, maintenant
....que c'est le printemps et que le port
est un incendie lointain, doré et rouge
dans la sombre forêt des mâts ; et l'on sent
les poissons, oppressés par l'eau, qui remontent
à la surface, leurs bouches ouvertes comme de
....petits triangles
pour prendre une profonde inspiration ;
-- l'as-tu remarqué ?
à ces heures-là, la lueur dense de l'eau est fendue
par les milliers de bouches ouvertes de petits
....poissons. Personne ne résiste
indéfiniment sous cette masse d'eau,
dans ces forêts marines, légendaires,
dans cette limpidité asphyxiante, à perte de vue,
...redoutable.

.../...


Yannis Ritsos. La fenêtre. Fata Morgana

lundi 18 mai 2009

Davide Rondoni (4)

Aimer une personne
est un long voyage --

roches, chutes d'eau et l'ombre
soudain, dilatée
le couvert des forêts,
parfois les éclairs
sur le silence si vaste de la mer

et des routes surélevées, des cris

des rues soudain plongées
dans une lumière inconnue.

Aimer quelqu'un, des milliers, chacun
c'est comme tenir une carte dans le vent.
On n'y parvient pas mais mon cœur
on me l'a mis au centre de la poitrine
pour ce haut, merveilleux défaut.

Sur les hauts plateaux de chaque nuit
me voici avec les redites et les mains ouvertes de la poésie :
ne les fais pas souffrir, ils sont à toi, ne les fais pas partir.

Davide Rondoni. Un bonheur dur. Cheyne.

Fabio Pusterla. Deux rives (3)

"Prenez souci des digues,
si vous le pouvez encore. Surveillez
les murs, les fragiles frontières.
Au-delà, c'est la peur, et la fureur."

*

"Je n'ai permis à personne
de me suivre jusqu'ici.
Vous ne pourrez jamais savoir
quelle route j'ai faite ou j'ai manquée.
Des bruits sourds
de trépan, des étincelles me guidaient."

*

"Après la plaine il n'y a que la plaine
et de la plaine encore et encore. Un long cri
la parcourt et se perd dans le rien."

*

"Tous les ponts ont été détruits,
tous les tigres ont été lâchés."

*

"Ferocia, si. E le crepe
che spaccano il fango secco di questa pianura.
Via di qui, bastardi.
Via di qui."

Fabio Pusterla. Deux rives. Cheyne.

lundi 4 mai 2009

Le Corre - Pourquoi la mer (1)


Toujours tu oublies,
toujours tu la retrouves,
la même, surgissant de l'oubli.

Autrefois tu voulais garder, fixer.
Maintenant tu laisses, tu laisses aller
ce mouvement. Déjà maintenant tu
oublies ce que tu vois, déjà tu laisses
cette nuée poudreuse de l'écume au
soleil, déjà tu n'entends pas ce fracas
roulant le long des falaises.
Tu vas comme elle va, l'insaisissable.

(...)

Peut-être ailleurs on peut emporter avec soi
le paysage, le tenir sur un carton, une toile ?
Mais tout bouge ici, le vent, l'eau, tout change
pendant que tu marches, tu ne retiens rien,
tu n'additionnes rien, c'est l'énormité du temps
diffracté dans cet espace d'eau, de soleil, de
vent qui t'enveloppe et qui t'échappe, toujours
là, toujours absent, infatigable réalité, infatiga-
blement fuyante dans sa répétition.
Tu n'oublies pas, c'est cela qui s'oublie de toi
quand tu effaces ta trace négligeable sur ces
bords.

(...)

René Le Corre. Pourquoi la mer. La part commune.