.....APRÈS
.....Je vais renaître sans cœur,
toujours dans le même univers,
toujours portant la même tête,
les mêmes mains,
peut-être changées de couleurs,
mais cela même ne me consolerait point.
......Je serai cruel et seul
et je mangerai des couleuvres
et des insectes crus.
......Je ne parlerai à personne,
sinon en paroles d’insectes
ou de couleuvres nues,
en mots qui vivront et riront malgré moi.
.....LA NAUSÉE D'ÊTRE
Je ne suis pas venu au monde
pour forger des bras aux centaures,
pour donner mon sang aux mouchoirs
qui sèchent au clair de lune.
Je ne suis pas venu au monde
pour combattre mon ombre,
ni pour trouver un jour mes poings
becqueté par les faisans.
Je ne suis pas venu pour frapper
ni pour rire à la mort.
Je ne me souviens plus,
des civières s’en vont,
des galères flambent,
des genoux tremblent et des faucons se posent
sur des boules fragiles et vivantes.
Si je regarde en arrière,
la mort s’en va à reculons,
indéfiniment des portes claquent,
jusqu’aux placards de l’horizon.
La mort au rire vulgaire
derrière ses persiennes vertes
suce un bonbon anglais
et les tapis sont mouillés de tisanes.
Je ne suis pas venu au monde,
au commencement il n’y a qu’un grand rire,
au coin d’une rue une poupée de plâtre
ouvre, en suant une eau verte de rage,
des boîtes qui ne contiennent que des boîtes,
et sans fin des boîtes.
Plus loin, comme un cœur suce le sang,
un trou dans une chair gigantesque m’aspire,
des murs vivants, rouges et chauds,
me traînent par la gorge,
je ne veux plus me retourner,
que tout à l’heure on m’assassine
d’un coup de couteau de cuisine
entre les deux épaules.
René Daumal, Le Contre-Ciel, suivi de Les dernières paroles du poète, Poésie/Gallimard.