samedi 28 août 2010

Pascal Quignard (7)

....Il n'y a pas de nudité humaine. L'autre de la fascination est le perdu.
....Culturels, éduqués, élevés, parlants, nous ne sommes plus nus. Le voudrions-nous, nous ne pouvons plus être nus.
....Mais nous pouvons nous dénuder.
....Corollaire I. La dénudation est possible au même titre que la désidération parce qu'elle en est un effet. L'une comme l'autre sont des traits de l'amour humain (les bêtes dans le plaisir ne peuvent pas plus se dénuder qu'elles ne peuvent se désidérer). En ce sens il faudrait dire que les bêtes ne désirent pas.
................*
....Corollaire II.
....Cela explique le regard des animaux.
....Le sérieux est le regard sidéré. Le regard rilkéen.
....Corollaire III.
....Tout regard sérieux est un regard sidéré.
................*
....Corollaire IV.
....Tout homme entièrement sérieux n'est pas humain.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 176-177

jeudi 26 août 2010

Pascal Quignard (6)

...........Chapitre XVI

............Desiderium

....J'ai longtemps cherché l'autre pôle de la fascination propre à la peinture romaine dans la poésie et dans la pensée latines sans l'y trouver. Quel pouvait être le pôle anti-magique qui s'opposerait à la fascination ? Qu'est-ce qui était capable de défasciner la sexualité romaine ? Qu'est-ce qui était capable de défasciner le fascisme ?
...
....
....Tout dans la littérature romaine ancienne emprisonnait dans l'enchantement dont on se défendait, dans la peur qu'on niait, dans la crainte des démons qu'on multipliait les fantômes, la honte, l'avant-programme du péché chrétien, les fiascos.
....Non seulement Ovide : aussi bien Lucrèce, ou Suétone, ou Tacite.
....Deux ans s'écoulèrent.
....Tout à coup, plus de deux années plus tard, avec une curieuse sensation de détresse qui se mêlait à l'évidence, je découvris que j'avais voyagé, que j'avais exploré en vain les sites antiques. ....Je surpris que je n'avais pas à chercher ce qui n'était pas à chercher. L'autre pôle était sous mes yeux.
....Voici la thèse que je veux défendre : c'est, très étrangement, le désir, à Rome, qui tient le pôle négatif.
....C'est le désir lui-même qu'il fallait opposer à la fascination.
....Là aussi, comme pour le mot de fascinus, il suffisait d'écouter le mot lui-même. Le mot qui me paraissait à moi, moderne — et moderne constamment fasciné par les thèses modernes — le plus positif qui pût être : le désir est négatif.
....Le désir n'est pas seulement un mot dont la morphologie est négative. Le désir nie la fascination.
....Le mot romain de desiderium est un nom négatif mystérieux.
....Désirer désidère.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 164-165

Pascal Quignard (5)


....
La fascination repose sur deux mots : bordure et débordement.
....Chaque soir devant Paestum la mer débordait dans la nuit.
....Nous descendions tous les soirs.
....C'est là que nous aimions dîner, dans l'air et le bruit de la mer.
....Avant de dîner, en buvant du vin, nous regardions la mer se décolorer à l'horizon, sur la ligne imperceptible du promontoire.
....Alors, dans cette beauté, nous dînions.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 138-139

Pascal Quignard (4)

...............Chapitre premier

....Les fleuves s'enfoncent perpétuellement dans la mer. Ma vie dans le silence. Tout âge est aspiré dans son passé comme la fumée dans le ciel.
....En juin 1993 M. et moi vivions à Atrani. Ce port minuscule est situé le long de la côte amalfitaine, sous Ravello. C'est à peine si l'on peut dire que c'est un port. A peine une anse.
....Il fallait monter cent cinquante-sept marches sur le flanc de la falaise. On entrait dans un ancien oratoire édifié par l'ordre de Malte et doté de deux terrasses en angle qui donnaient sur la mer. On ne voyait que la mer. On ne percevait partout que la mer blanche, mouvante, vivante, froide du printemps.
....Tout droit, en face, de l'autre côté du golfe, dans l'aube, parfois, de très rares fois, on apercevait la pointe de Paestum et les colonnes de ses temples qui cherchaient à s'élever, sur la ligne fictive de l'horizon, dans la brume et dans l'inconsistance.
....En 1993 M. était silencieuse.
....M. était plus romaine que les Romains (elle était née à Carthage). Elle était très belle. L'italien qu'elle parlait était magnifique. Mais M. allait avoir trente-deux ans et je me souviens qu'elle était devenue silencieuse.
....Il y a dans toute passion un point de rassasiement qui est effroyable.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 9-10

samedi 21 août 2010

Rip Hopkins (1)


voir : http://www.riphopkins.com/works/54

Hermann Hesse (2)

Bei Spezia

In großen Takten singt das Meer,
Der schwüle Westwind heult und lacht,
Sturmwolken jagen schwarz und schwer;
Man sieht sie nicht, es ist zu nacht.

Mir aber scheint: so tot und bang,
So ohne Trost und Sternegold
Durch schwüle Nacht und Sturmgesang
Sei auch mein Leben hingerollt.

Und doch ist keine Nacht so schwer
Und so voll Dunkels keine Fahrt,
Der nicht vom nahen Morgen her
Des Lichtes süße Ahnung ward.

Près de la Spezia

La mer en mesures égales
Chante. Le vent d'ouest hurle et rit,
Les nuées passent en rafales
Sans qu'on les voie : il fait trop nuit.

Et je songe qu'ainsi ma vie
Ténébreuse, sans réconfort,
Sauvage ouragan s'est enfuie
Dans l'âpre nuit, sans astre d'or.

Mais est-il nuit assez obscure
Ou voyage assez incertain
Pour n'être pas promesse sûre
D'un proche et lumineux matin ?

Hermann Hesse, Poèmes choisis et traduits par Jean Malaplate, José Corti

Hermann Hesse (1)

Höhe des Sommers

Das Blau der Ferne klärt sich schon
Vergeistigt und gelichtet
Zu jenem süßen Zauberton,
Den nur September dichtet.

Der reife Sommer über Nacht
Will sich zum Feste färben,
Da alles in Vollendung lacht
Und willig ist zu sterben.

Entreiß dich, Seele, nun der Zeit,
Entreiß dich deinen Sorgen
Und mache dich zum Flug bereit
In den ersehnten Morgen.

Mi-été

L'azur à l'horizon revêt,
Idéale et discrète,
Cette douceur que seul connaît
Septembre le poète.

Demain, l'été mûr va rougir
En couleur de liesse,
Car tout accepte de mourir,
Regorgeant de richesse.

Âme, dépouille-toi du temps,
Des soins de toute sorte,
Vers l'aurore que tu attends
Que ton aile t'emporte !

Hermann Hesse, Poèmes choisis et traduits par Jean Malaplate, José Corti

lundi 16 août 2010

landscape (1)

dimanche 15 août 2010

Jean Follain (1)

Pierres et corps

Des pierres de toujours
ou précieuses ou de foudre
des plus aigües qui tombent
sur le champ du voisin
de celles du bord des mers
les corps vivants s'inquiètent
dans leurs fourrures
et peaux
portant leurs réserves de sang
leurs yeux fragiles
et leurs membres qui cherchent.

Jean Follain, Exister suivi de Territoires, nrf, Poésie/Gallimard

lundi 9 août 2010

Paul Celan (4)

MITTAGS, bei
Sekundengeflirr,
im Rundgräberschatten, in meinen
gekammerten Schmerz
mit dir, Herbei-
geschwiegene, lebt ich
zwei Tage in Rom
von Ocker und Rot
kommst du, ich liege schon da,
hell durch die Türen geglitten, waagrecht :

es werden die Arme sichtbar, die dich umschlingen, nur sie. Soviel
Geheimnis
bot ich noch auf, trozt allem.

A MIDI, quand
vibrillent les secondes,
dans l'ombre des tombes rondes, tu viens dans
la chambre de ma douleur
avec toi, Convoquée
du silence, j'ai vécu
deux jours à Rome
d'ocre et de rouge
tu viens, je suis déjà couché là,
clair-glissée par les portes, horizontales :

alors deviennent visibles les bras qui t'enlacent, rien qu'eux. Tant j'ai
brandi de secret
encore, malgré tout.


Paul Celan, Renverse du souffle, Poésie/Points

samedi 7 août 2010

Paul Celan (3)

STEHEN, im Schatten
des Wundenmals in der Luft.

Für-niemand-und-nichts-Stehn.
Unerkannt,
für dich
allein.

Mit allem, was darin Raum hat,
auch ohne
Sparche.

TENIR DEBOUT, dans l'ombre
du stigmate des blessures en l'air.

Tenir-debout-pour-personne-et-pour-rien.
Non-reconnu,
pour toi
seul.

Avec tout ce qui a ici de l'espace,
et même sans
parole.

Paul Celan, Renverse du souffle, Poésie/Points

vendredi 6 août 2010

Loïc Herry (7)

pluie d'août sur la Bretagne
silence en mineur

rubescence ?

rêve d'une femme qui s'ouvre
où la terre crie le plus fort




Loïc Herry, Éclats, motus

mercredi 4 août 2010

Loïc Herry (6)

Mémoire
..........heures vierges
Miroir
...........................souffle éteint
Horizon


......lèvres mortes



Loïc Herry, Éclats, motus

mardi 3 août 2010

Kiki Dimoula (3)

Terre des absences

En ce moment, tu dois regarder une mer.

L'envie de te localiser
dans la terre des absences qui tournent en moi
te trouve ainsi :
un flou amer et littoral.

Là-bas la nuit ne vient pas encore
alors qu'elle est tellement présente ici ;
des divers lieux les heures décisives
rarement coïncident.
On dirait de la lumière, même pas,
l'heure de ta personne est tombée.

Des algues dansent
sous la vitre de l'eau.
Les hauts-fonds eux aussi
ont leurs souffrances et réjouissances.

En ce moment,les chastes tranquillités qui t'entourent
ont dû dénouer leurs cheveux ;
ton silence doit faire d'elles
tes épouses accomplies.
Elles s'allongent à ton côté.
Ta pensée fixe des marches dans l'air
et monte. Elle te tient dans son bec.
Comment pourrais-je connaître les points sensibles de la mer
pour te comprendre ?

Tu dois contempler une mer déserte.
Ton regard n'est guère différent
d'un versant qui s'assombrit
avec soulagement et douceur
et dégringole dans l'éloignement.
...

Kiki Dimoula, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, nrf, Poésie/Gallimard

Kiki Dimoula (2)

Les lauriers-roses
Colline de Philopàppou

Nous ne sommes jamais venus.
La colline t'ignore.
Ton pas ne se trouve inscrit
dans aucune petite montée
et l'on n'entend même pas dans les douces descentes
le rire de ta marche vive.
Tu n'es pas inscrit non plus
dans le vert des mots d'amour
sur les feuilles charnues des cactus.
Pleines de noms, petits coups de couteau
qui ne vont pas en profondeur
et facilement se referment,
Elsi-Dimitris
et la flèche.
Et d'autres noms passés
avec un chagrin longue durée.
Sur la plupart
le trait d'union
est cicatrisé, effacé.
Autrefois s'est défait.

Des serments soufflent derrière les buissons,
des cailloux roulent.
Amours qui montent,
amours qui glissent.
Le soir éprouve
une passivité embaumée
et ce qui est chagrin ressemble
à une paix de l'âme des feuillages.
Les corps des odeurs lourdement
ouvrent et referment leurs ailes,
ignorent ennuyeusement :
aucun ne sent la disparition.
Où-es tu ?
Quelque chose amène l'amertume
plus que l'odeur des lauriers-roses.
Où-es tu ?

Mais nous ne sommes jamais venus.
La colline t'ignore.
Les rapprochements me sont donc épargnés.
Et je peux ainsi rester
à la hauteur d'une rêveuse neutralité
pour savourer sans que rien me gêne
cette ordure de coucher de soleil.

Kiki Dimoula, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, nrf, Poésie/Gallimard

Kiki Dimoula (1)

La pierre périphrase

Parle.
Dis quelque chose, n'importe quoi.
Mais ne reste pas là comme une absence en acier.
Choisis ne serait-ce qu'un mot,
qui te liera plus étroitement
à l'indéfini.
Dis :
"en vain",
"arbre",
"nu".
Dis :
"on verra",
"impondérable",
"poids".
Il y a tant de mots qui rêvent
d'une vie brève, sans liens, avec ta voix.

Parle.
Nous avons tant de mer devant nous.
Là où nous finissons
la mer commence.
Dis quelque chose.
Dis "vague", qui ne tient pas debout.
Dis "barque", qui coule
quand trop chargée d'intentions.
Dis "instant",
qui crie à l'aide car il se noie,
ne le sauve pas,
dis
"rien entendu".

Parle.
Les mots se détestent les uns les autres,
ils se font concurrence :
quand l'un d'entre eux t'enferme,
un autre te libère.
Tire un mot hors de la nuit
au hasard.
Une nuit entière au hasard.
Ne dis pas "entière",
dis "infime",
qui te fait fuir.
Infime
sensation,
tristesse
entière
qui m'appartient.
Nuit entière.

Parle.
Dis "étoile", qui s'éteint.
Un mot ne réduit pas le silence.
Dis "pierre",
mot incassable.
Comme ça, simplement
pour mettre un titre
à cette balade en bord de mer.

Kiki Dimoula, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, nrf, Poésie/Gallimard