vendredi 22 mai 2009

Yannis Ritsos (1)

Me voici installé à la fenêtre ; je regarde les
....passants

et je me regarde dans leurs yeux.
J'ai l'impression d'être
une photo silencieuse dans son vieux cadre,
accrochée à l'extérieur de la maison, sur le
....mur d'ouest,

moi et ma fenêtre.

.............Je regarde parfois moi-même
cette photo aux yeux sensuels, fatigués --
une ombre cache la bouche ; par instants,
....
la lueur plate de la vitre,
face au couchant et au clair de lune,
masque entièrement le visage et me voici dérobé
derrière un rectangle de lumière pâle, argent ou rosé,
et je peux librement contempler le monde
sans que personne ne me voie. Librement ;
....-- que veux-tu ?
Je ne puis bouger ; dans mon dos,
le mur humide ou incandescent ; contre ma poitrine,
la vitre glaciale ; les veinules de mes yeux
ramifiées au sein du verre. Et ainsi, coincé
entre le mur et la vitre, je n'ose déplacer mon bras,
porter ma main à mes sourcils quand le soleil brille
comme une gloire implacable ; et je suis contraint
à regarder, à vouloir et à ne pas bouger. Si j'esquisse
le moindre geste, mon coude
peut briser la vitre et il me restera
au flanc un trou béant à la pluie et aux regards.

Si j'essaye de parler, le souffle de ma voix
ternit la vitre - comme c'est le cas en ce moment -
et je ne vois plus ce que j'ai l'intention d'évoquer.

Silence et immobilité donc. On pourrait même
....parler d'hypocrisie
car tu sais, peut-être, combien de cris crucifiés,
combien de gestes agenouillés logent
derrière cette splendeur verticale, cristalline.
Notamment lorsque la nuit tombe, maintenant
....que c'est le printemps et que le port
est un incendie lointain, doré et rouge
dans la sombre forêt des mâts ; et l'on sent
les poissons, oppressés par l'eau, qui remontent
à la surface, leurs bouches ouvertes comme de
....petits triangles
pour prendre une profonde inspiration ;
-- l'as-tu remarqué ?
à ces heures-là, la lueur dense de l'eau est fendue
par les milliers de bouches ouvertes de petits
....poissons. Personne ne résiste
indéfiniment sous cette masse d'eau,
dans ces forêts marines, légendaires,
dans cette limpidité asphyxiante, à perte de vue,
...redoutable.

.../...


Yannis Ritsos. La fenêtre. Fata Morgana