RENCONTRE
Ce n'est pas l'amour, mais elle me tente encore
cette route demeurée inconnue
de moi à toi, de moi aux autres. Je rencontre
des années au pied des arbres, des années et des baies
tombées, et aux carrefours
une troupe de feuilles
rasant le sol ou soulevées soudain. Désirs
et peines se pressent dans la mêlée,
j'y passe au milieu et je gèle.
.........................................Le temps,
dis-tu, accomplit son œuvre,
déchire la toison des allées, allume
le bûcher. Je suis devenue immatérielle,
ombre qui se déplace dans la flamme
de la mort perpétuelle. Et toi, qui es-tu ?
Une personne réelle ou un esprit
qui revient en songe à cet endroit ?
reste de tant ou de si peu d'années passées,
je suis changée de fille en mère
et une mère, même vaincue, garde sa foi,
reste solide ou feint de l'être sur la terre
car son fils doit apprendre la vie
et puiser dans le sol nourricier, fût-il privé de fleurs.
Cet effort n'aura jamais de fin.
Le vent qui de buisson en buisson fait dévier
la balle et brouille les jeux de l'enfant,
les braises dispersées ; et toi qui parlais tout à l'heure
tu te tais... C'est un instant de notre vie.
Le soleil désormais rassemble ses rayons
au seuil du ciel, peu à peu
il se retire, et le vent n'a pas encore de cesse.
Là où persiste encore un peu de lumière
rouge, comme exhalée entre les cimes, tourbillonnent
quelques feuilles qui vont rejoindre leur troupe.
Rien d'autre ; l'heure nous avertit qu'il faut
reprendre chacun son chemin
dans la foule qui se traîne d'âmes et de dépouilles.
Tu me précèdes, tu ne sais pas s'il est
vraiment une lanterne même cette nuit.
Mario Luzi, Prémices du désert - Poèmes 1932-1956, Poésie/Gallimard