mardi 22 septembre 2009

Mario Luzi (1)


RENCONTRE

Ce n'est pas l'amour, mais elle me tente encore

cette route demeurée inconnue

de moi à toi, de moi aux autres. Je rencontre

des années au pied des arbres, des années et des baies

tombées, et aux carrefours
une troupe de feuilles

rasant le sol ou soulevées soudain. Désirs

et peines se pressent dans la mêlée,
j'y passe au milieu et je gèle.

.........................................Le temps,
dis-tu, accomplit son œuvre,
déchire la toison des allées, allume
le bûcher. Je suis devenue immatérielle,

ombre qui se déplace dans la flamme

de la mort perpétuelle. Et toi, qui es-tu ?

Une personne réelle ou un esprit

qui revient en songe à cet endroit ?

..................................................Vois-moi :
reste de tant ou de si peu d'années passées,

je suis changée de fille en mère
et une mère, même vaincue, garde sa foi,
reste solide ou feint de l'être sur la terre

car son fils doit apprendre la vie

et puiser dans le sol nourricier, fût-il privé de fleurs.

Cet effort n'aura jamais de fin.


Le vent qui de buisson en buisson fait dévier

la balle et brouille les jeux de l'enfant,

les braises dispersées ; et toi qui parlais tout à l'heure

tu te tais... C'est un instant de notre vie.

Le soleil désormais rassemble ses rayons

au seuil du ciel, peu à peu

il se retire, et le vent n'a pas encore de cesse.
Là où persiste encore un peu de lumière

rouge, comme exhalée entre les cimes, tourbillonnent

quelques feuilles qui vont rejoindre leur troupe.
Rien d'autre ; l'heure nous avertit qu'il faut
reprendre chacun son chemin

dans la foule qui se traîne d'âmes et de dépouilles.

Tu me précèdes, tu ne sais pas s'il est
vraiment une lanterne même cette nuit.


Mario Luzi, Prémices du désert - Poèmes 1932-1956, Poésie/Gallimard