J.M.G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre, L'imaginaire Gallimard....La beauté brille dans la vie, pure et sans retard, immédiatement. La beauté est donnée. Il n'y a rien à acquérir. La beauté n'a pas d'histoire, elle n'est pas la solution d'un mystère. Elle est elle, simplement. Devant moi, comme après la pluie, la mer est immense. Je ne peux imaginer de frontières. Le langage des hommes, les émotions, les souffrances, où sont-ils ? Il n'y a rien de tel ici. Il y a l'espace, la mer, le ciel. Il y a le monde qui n'est pas à conquérir. J'ouvre les yeux. Je suis devant ce qui n'est à personne, ne sera à personne. Je ne peux plus imaginer de barrières, ni de murs. Je ne peux plus imaginer de serrures. Je suis en contact avec l'air, je suis dans la beauté immédiate. Je vois le ciel sur la mer, bleu clair, et l'eau violette à l'horizon. La couleur m'emporte, m'abolit. Comme si j'étais né à cet instant même, sans père ni mère, mais réellement apparu devant la mer et le ciel.
....Mais ce n'est pas moi qui nomme cela, qui utilise cela, par mes paroles ou par mes rêves. Comment serais-je celui qui imagine ? Devant l'espace, je cesse et je disparais, et c'est la mer qui me donne ma vie, mon être. Les questions se taisent. Ce n'est pas la raison, ni le doute, ni même le désir de ne faire plus qu'un avec l'espace, qui me font comprendre la nécessité de cette disparition de ma personne. C'est la grandeur, l'intensité de la mer sombre, la force de ce ciel clair, l'extrême tension de l'horizon, parfait jusqu'à la violence, c'est tout cela qui me nie, m'expose, m'éparpille. Alors je vais vers eux, je n'existe plus que par eux. Ce que j'attendais ne pouvait venir de moi, ni d'aucun homme. Ce ne pouvait pas être du langage, ni des sentiments. Ce n'était rien de compréhensible, rien de reconnaissable. Ce que j'attendais, ce que j'attends encore, est là, dans le bleu profond du réel. Cela est exposé de toutes parts, règne dans la plénitude de sa lumière.
Ce que je dois savoir ne peut venir de moi vers le monde : mais au contraire, du monde vers moi, pourvu que je puisse rester les yeux ouverts. (...)
lundi 29 mars 2010
J.M.G. Le Clézio (5)
dimanche 14 mars 2010
J.M.G. Le Clézio (4)
...Soleil et grand vent. Vous marchez dans la direction de l'ouest, le long des rues. Le vent souffle fort, la lumière vous aveugle. Mais les grands immeubles blancs de chaque côté de la rue s'écartent, et devant vous il y a maintenant une sorte de vallée immense, un champ désert et silencieux dans lequel vous entrez.
...Vous marchez comme s'il n'y avait plus rien qui vous retienne, plus rien qui vous arrête. Le vent passe à travers la rue, à travers vous, il appuie sur votre visage et fait flotter vos vêtements comme des voiles. Vous marchez un peu penché en avant, les yeux plissés, sans savoir où vous allez. Vous marchez le long de la mer, en suivant un paysage jonché d'éclats et parcouru de choses brutales, comme s'il y avait une série de cubes renversés, de triangles, d'arceaux. Vraiment vous ne savez plus rien, vous ne savez plus du tout. Seulement vous faites des efforts, comme cela, penché en avant, le visage crispé, les cheveux agités. Il y a quelque chose de furieux sur la terre et sur la mer, et en même temps de joyeux, de passionné. Vous voyez du coin de l'œil le bleu intense, le blanc de l'écume, le noir de l'asphalte, les réverbérations de la lumière sur les pare-brise des voitures, les flammes qui sautent et qui dansent. Vous ne pouvez pas savoir, vous n'avez pas le temps. Vous faites des efforts pour avancer, pour remonter le vent, et vous entendez les claquements, les sifflements, les coups sourds des trous d'air qui se ferment.
...Vous pouvez marcher longtemps ainsi, très longtemps, tandis que les maisons s'écartent autour de vous et que s'agrandissent la route, les places, les esplanades, le désert, et que vient la mer, plateau immense sous le domaine de l'air.
...Jamais vous n'avez été plus près du ciel, plus près du soleil. C'est comme si vous gravissiez un très grand escalier de pierre blanche, jusqu'au sommet, jusqu'au toit de la terre. Vous êtes dans un lieu où l'on pourrait voir très loin, mais vous ne cherchez pas à voir. Vous êtes dans la lumière, au milieu de la lumière. Alors vous restez debout, un peu penché en avant, ivre, pareil à une roche, tandis que passe autour de vous le fleuve froid de l'air.
mercredi 10 mars 2010
Pas revoir...
Ce n'est toujours pas toi ce cadavre comme si toi tu aurais tenu en place comme ça comme si tu ne savais plus dire bonjour toi si courtois.
Et si gracieux mon père qu'on te reconnaît au sourire.
Ce n'est toujours pas toi ce visité qui n'offre rien à boire ne dit pas de s'asseoir toi si civil hospitalier pas toi c'est trop mal imité.
dimanche 7 mars 2010
J.M.G. Le Clézio (3)
Il n'y a pas de souffrance ni de joie qui ne soient pas aussi dans le paysage. Certains jours, comme cela, sans que je puisse comprendre pourquoi, les rochers blancs souffrent, les arbustes souffrent, la mer est une grande étendue de douleur, le ciel a mal, même le soleil est serré en boule comme un animal qu'on a frappé. Ou bien d'autres jours, aussi mystérieusement, parce qu'il pleut, parce que l'eau tombe à verse et cascade, gonfle les ruisseaux, emplit les trous, je suis moi-même lavé, déchargé. Ensuite, quand après des heures la pluie cesse, tout est plus net, on sent le tranchant, on voit le contour de l'âme.
J.M.G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre, L'imaginaire Gallimard
samedi 6 mars 2010
J.M.G. Le Clézio (1)
J.M.G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre, L'imaginaire Gallimard.....J'aime la plus belle des lumières, chaude, jaune, celle qui apparaît quelquefois l'après-midi sur le mur d'une chambre face au sud. C'est en elle que je voudrais habiter, pendant des jours, des mois, des années. Souple, tiède, vivante, douce, jaune comme la paille, jaune comme la flamme des allumettes, elle entre par la fenêtre ouverte sans que je sache d'où elle vient, de quels sables, de quels champs de maïs ou de blé mûr. Elle entre, pareille à une chevelure de femme, elle se met à bouger entre les murs de la chambre, d'un mouvement continu qui emplit de bonheur, d'un seul long mouvement qui se déploie et rebondit sans cesse, la belle lumière chaude, la lumière d'été.
....Je la sens venir, elle m'enveloppe comme l'air, mais sans rien qui trouble ou attouche, elle regarde chaque parcelle de ma peau, elle me baigne et m'éclaire. Aucune autre lumière ne sait faire cela comme elle. Elle, elle est venue de tous les points de l'espace, poudre des soleils et des étoiles, parfum des astres. Lumière du tabac et des genêts, lumière du cuir, lumière de la bière, lumière des fleurs, lumière de la peau blonde et claire, elle apporte tout cela avec elle, comme une rivière qui coulerait sur elle-même.
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