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J.M.G. Le Clézio (4)
...Soleil et grand vent. Vous marchez dans la direction de l'ouest, le long des rues. Le vent souffle fort, la lumière vous aveugle. Mais les grands immeubles blancs de chaque côté de la rue s'écartent, et devant vous il y a maintenant une sorte de vallée immense, un champ désert et silencieux dans lequel vous entrez.
...Vous marchez comme s'il n'y avait plus rien qui vous retienne, plus rien qui vous arrête. Le vent passe à travers la rue, à travers vous, il appuie sur votre visage et fait flotter vos vêtements comme des voiles. Vous marchez un peu penché en avant, les yeux plissés, sans savoir où vous allez. Vous marchez le long de la mer, en suivant un paysage jonché d'éclats et parcouru de choses brutales, comme s'il y avait une série de cubes renversés, de triangles, d'arceaux. Vraiment vous ne savez plus rien, vous ne savez plus du tout. Seulement vous faites des efforts, comme cela, penché en avant, le visage crispé, les cheveux agités. Il y a quelque chose de furieux sur la terre et sur la mer, et en même temps de joyeux, de passionné. Vous voyez du coin de l'œil le bleu intense, le blanc de l'écume, le noir de l'asphalte, les réverbérations de la lumière sur les pare-brise des voitures, les flammes qui sautent et qui dansent. Vous ne pouvez pas savoir, vous n'avez pas le temps. Vous faites des efforts pour avancer, pour remonter le vent, et vous entendez les claquements, les sifflements, les coups sourds des trous d'air qui se ferment.
...Vous pouvez marcher longtemps ainsi, très longtemps, tandis que les maisons s'écartent autour de vous et que s'agrandissent la route, les places, les esplanades, le désert, et que vient la mer, plateau immense sous le domaine de l'air.
...Jamais vous n'avez été plus près du ciel, plus près du soleil. C'est comme si vous gravissiez un très grand escalier de pierre blanche, jusqu'au sommet, jusqu'au toit de la terre. Vous êtes dans un lieu où l'on pourrait voir très loin, mais vous ne cherchez pas à voir. Vous êtes dans la lumière, au milieu de la lumière. Alors vous restez debout, un peu penché en avant, ivre, pareil à une roche, tandis que passe autour de vous le fleuve froid de l'air.
J.M.G. Le Clézio,
L'inconnu sur la terre, L'imaginaire Gallimard