lundi 2 mai 2011

Erri de Luca (3)

Un arbre solitaire a une clôture invisible, aussi large que son ombre à poser tout autour. Avant d'y entrer, je retire mes sandales. Je m'allonge sous sa lumière.

Le pin des Alpes est capable de se diviser en deux branches principales, impossible pour le sapin ou le mélèze. Le tronc de celui qui est là-haut a deux bras levés, parallèles, dont un pour la foudre. Il sait qu’il sert de cible, la hauteur solitaire l’implique. Il est né de la décharge qui a tué le tronc précédent. Le feu du ciel est son deuxième père. (…)

Quand le nuage s’épaissit, tout gris, qu’il s’ébouriffe autour de la montagne, un courant passe comme un frisson à la surface. Si l’alpiniste se trouve là, il le sent glisser sur lui, une caresse de coton imbibé qu’on frotte sur la peau avant la seringue. La foudre est précédée d’une friction du ciel sur la terre.

Le pin des Alpes connaît le frémissement qui éclaire ses branches d’une auréole. A ce moment, il cesse de respirer, de faire monter la lymphe : il incline ses aiguilles et attend. Il arrive que le nuage se déplace pour décharger ailleurs sa fièvre. L’éclatement sur d’autres rochers est le signe qu’on peut de nouveau respirer.

Entre un arbre et un homme, la conversation tourne autour des histoires de foudre. Je raconte les miennes. (…)


En montagne, il existe des arbres héros, plantés au-dessus du vide, des médailles sur la poitrine des précipices. Tous les étés, je monte rendre visite à l'un d'entre eux. Avant de partir, je monte à cheval sur son bras au-dessus du vide. L'air libre sur des centaines de mètres vient chatouiller mes pieds nus. Je l'embrasse et le remercie de sa durée.

Erri de Luca, Visite à un arbre, in : Le poids du papillon, Gallimard