dimanche 15 mai 2011

Philippe Jaccottet (11)

Le ciel s'est éclairé de nouveau, mais le soleil ne l'emporte plus sur la fraîcheur portée par le vent, entretenue par l'assemblée des arbres, nourrie par l'ombre, par la terre. Peu de bruits animent cette heure, ils ne s'élèvent que par intervalles, pareils aux soupirs, aux paroles incompréhensibles qui échappent à l'homme endormi : c'est la corne d'une voiture, le bourdonnement d'un moteur ; le cri d'un coq ; une voix de femme, indistincte ; d'autre voix, plus lointaines encore ; le froissement d'un journal sur les pierres. C'est l'heure, c'est l'énigme. Quelle lenteur, à peine brusquée par le vol des oiseaux ! Quel miroitement là-bas sur les eaux, immobile !
Ainsi les choses, ainsi le monde tour à tour salue ou se détourne, nous attire ou nous abandonne.
"Je voulais regrouper ces fuyantes lueurs, ne pas les laisser m'échapper..."
Philippe Jaccottet, Observations et autres notes anciennes, 1947 - 1962, Gallimard nrf