dimanche 26 février 2012
samedi 25 février 2012
Nicolas Bouvier (7)
Route de Miandoab
Des ravines profondes coupaient la chaussée ; la conduite était délicate, et six mois de vie sédentaire nous avaient rendu maladroits. On embourba plusieurs fois la voiture jusqu'au capot, et sans espoir d'en sortir par nous-mêmes. Le mieux, en pareil cas, c'est encore de s'asseoir sur ses talons en attendant qu'une charrette passe et de regarder le paysage. Il en valait la peine. Malgré l'humidité, la vue portait loin. Au Nord, des vergers tachés de neige et plantés d'arbres griffus s'éloignaient à perte de vue vers Tabriz et l'hiver ; au fond du pays, la chaîne du Savalan tendait ses arêtes blanches et légères au-dessus du brouillard. A l'ouest, un désert de marécages nous séparaient des eaux amères du lac d'Urmia. Au sud, dans la direction du printemps, les premiers épaulement du Kurdistan fumaient sous l'averse au bord d'une plaine sombre mouchetée de peupliers. Autour de nous, entre les plaques de neiges, la terre travaillaient, soupirait, rendait comme une éponge des milliers de filets d'eau qui la faisaient briller. Trop d'eau. Nous commencions à croiser des chameaux trempés jusqu'au ventre. Le niveau montait sur les gués ; il fallait se déshabiller et chercher dans un courant déjà fort le meilleur chemin pour la voiture.
°°°
Mahabad
Maisons de torchis aux portes peintes en bleu, minarets, fumées des samovars et saules de la rivière : aux derniers jours de mars, Mahabad baigne dans le limon doré de l'avant-printemps. A travers l'étoupe noire des nuages, une lumière chargée filtre sur les toits plats où les cigognes nidifient en claquant du bec. La rue principale n'est plus qu'une fondrière où défilent des Shi'ites aux lugubres casquettes, des Zardoshti coiffés de leur calotte de feutre, des Kurdes enturbannés et trapus qui vocifèrent des couplets enroués et dévisagent l'étranger avec effronterie et chaleur. (...)
Nicolas Bouvier, L'usage du monde, Dessins de Thierry Vernet, Droz
lundi 20 février 2012
Nicolas Bouvier (6)
Les grenades ouvertes qui saignentsous une mince et pure couche de neigele bleu des mosquées sous la neigeles camions rouillés sous la neigeles pintades blanches plus blanches encoreles longs murs roux les voix perduesqui cheminent sous la neigeet toute la ville jusqu'à l'énorme citadelles'envole dans le ciel mouchetéC'est Zemestan, l'hiver.
dimanche 19 février 2012
Franck Venaille (5)
Je suis maintenant sur une vaste place vide. Personne ne viendra se joindre à moi à cette heure. La cité tout entière m'appartient, la ville et Dante qui sortira à minuit de cette ruelle (celle-ci). Amassés devant les portes du palais les journaux ne résistent pas à la tempête et bientôt s'envolent. Leurs feuilles suivent ou accompagnent la violence du vent. On dirait d'immenses oies sauvages qui se battent, se combattent jusqu'à la mort, ailes déployées becs d'acier. Se heurtant aux murs. Tout cela noir et blanc.La lagune est sombre. Foutaises ! Elle est ce que les hommes en font. Des pas résonnent, là-bas, Quelqu'un (mon père ?) traverse le ghetto. Sa douleur ne se mesure pas.C'était là chose à dire.
samedi 18 février 2012
Franck Venaille (4)
Je porte l'insomnie en moi comme autrefois mes ancêtres flamands la peste.
Rien pourtant ne me désigne au regard d'autrui. Rien.
Les nuits sans étoiles, yeux bandés, je démonte, nettoie, graisse puis remonte
mes armes.
Toujours dans le noir
C'est alors que je peux m'adresser à mes morts.
Qui sans montrer leur amertume, me répondent et nous devisons entre amis
d'une nouvelle stratégie militaire.
Les morts ont la parole. Qu'ils la gardent !
Seul mon père à l'écoute juge sévèrement la manière dont je vis.
SAN FRANCESCO DEL DESERTO
* *
Clapotement léger
L'aube sur cette scène du monde où des îles naissent dans la nuit.
Les vagues crevées. Le bois pourri. L'odeur d'essence. Et la brume sur tout cela.
D'autres
murs.
Des façades grillagées qui furent comme autant d'appels au secours.
Autrefois des hommes avaient vécu ici. Et probablement travaillé dur.
Clapotis léger.
Fatigué par ma vie (Je) le suis !
CANALE DESE
* *
J'ai grand lassitude à vivre.
Repos, amis, laissez-moi m'arrêter un instant.
Les eaux mêlées. Là. M'entourant.
Ce que les jours pèsent parfois ce qu'ils pèsent !
Cela en devient trivial, non ?
Tout ce que j'abandonne pour, immédiatement
le reprendre.
Les mains d'anciens conflits me brûlent.
Tandis que le froid fissure cette terre ocre une fois encore.
PALUDE DI SAN GIACOMO
* *
Le calme de l'infini au soleil couchant.
A l'endroit où les deux eaux se rejoignent cela se joue sur quelques mètres
nécessaires pour une rixe d'autrefois entre enfants de la Côte.
Puis, peu à peu - clac et clac - le vent de la lagune étendait ses drapeaux et cela
claquait dans l'air.
Notre barque prenait part à la danse.
Je posais mille questions à qui dirigeait la manœuvre gagnant là un moment de
lucidité.
Il avait quitté le monastère. Il en souffrait.
Se serre mon cœur d'y penser.
PALUDE DELLA ROSA
* *
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