Edith Wharton, Paysages italiens, Payot & RivagesLe lendemain, nous conduisîmes à travers les grasses prairies de Tirano, l'une de ces villes italiennes sans histoire et sans renommée qui réservent à l'oeil attentif le trésor de leurs paisibles impressions. Il est difficile de nommer précisément un quelconque "effet" : l'amateur de paysages pressé n'y découvrirait que des rues ennuyeuses et des façades monotones. Mais par son ancienneté et son isolement, l'endroit est de grande qualité. Les maisons monotones sont des "palais" au fronton allongé et orné d'armoiries ; on y aperçoit des cours en arcades et des jardins où le maïs et les dahlias étreignent les statues brisées et étouffent les fontaines, où les raisins mûrissent sur le stuc décrépi des murs. Ici et là, on rencontre une église frivolement rococo, contrainte par le temps à se soumettre à son environnement dans une délicieuse harmonie ; une fontaine sur une place silencieuse, ou un balcon en fer forgé se jetant avec romantisme d'une façade à volets, ou l'un ou l'autre des cent détails caractéristiques qui composent la mise en scène de la moindre ville italienne. C'est précisément dans des lieux comme Tirano, où aucune beauté saillante ne fixe le regard, que l'on peut apprécier la valeur de ces détails, que l'on prend conscience de ce qu'on pourrait appeler la force négative du sens artistique en Italie. Lorsque le bâtisseur italien ne peut être grandiose, il peut toujours s'abstenir d'être mesquin ou trivial, et cette abnégation artistique donne à nombre de petites villes ternes, comme Tirano, la dignité architecturale dont nos grandes villes manquent.