dimanche 27 mai 2012

Ernst Jünger (1)

SÉJOUR DALMATE

Plus haut, sur la crête avancée du roc, repose le petit couvent de Suttomonte dont la cloche accompagne de son tintement les navires qui passent en mer. De là, on embrassait dans sa pleine expression le rapide élancement des rampes de la montagne. D'épaisses cyprières donnaient à ces versants un aspects singulier. La forme du cyprès est en effet si prononcée que, même ici où ils venaient réunis par milliers, le mot forêt semblait hors de propos.

Entre ces fuseaux de feuillage, qui frémissaient comme des flammes vertes sous la lumière, des masses de lauriers roses à fleurs rouges, dans les ravines, s'étiraient vers l'aval en larges torrents de feu.

Parmi les criques qui se reliaient entre elles en chaîne de conques rocheuses, nous en avions choisi une en bordure de laquelle un bois de pins maritimes promettait quelque ombrage. Ce bel arbre réussit aux endroits où il trouve, pour plonger ses racines, un sol sablonneux imbibé de l'eau saline de la mer, et, pour déployer ses hautes ramures, les brûlantes couches d'air que crée le soleil au-dessus des dunes scintillantes. Devant ce bois, et en dernier avant-poste du règne végétal, s'étendait encore une étroite bande de plantes côtières. Là venaient le jaune et duveteux pavot maritime ainsi qu'un genre d'euphorbe de la couleur du bronze. D'entre les pierres, une frankénie pointait ses feuilles triquètres comme de longs cristaux pulpeux ; ses feuilles ressemblaient à de lumineux petits soleils à chevelure rouge.

Ernst Jünger, Voyage atlantique, La table ronde