jeudi 24 décembre 2009

D. H. Laurence (1)

CYCLAMENS DE SICILE

Quand il délivra son front de sa tignasse noire,
Quand elle écarta de ses yeux sa crinière sombre pour la nouer derrière en chignon
-- Oh geste de terrible audace !
Quand ils sentirent la lumière du ciel brandie comme une lame sur leurs yeux sans défense,
Et la mer, sabre sur leur visage
De méditerranéens sauvages,
Quand ils parurent, à visages nus, sous le ciel, hors de leur chevelure, hirsute broussaille,
Pour la première fois,
Ils virent de menus cyclamens roses entre leurs orteils, poussant là
Où les crapauds figés ruminaient le passé.

Lents crapauds, feuilles de cyclamens
Luisantes et grasses d'ombre éternelle,
Attachés à la terre.
Feuilles de cyclamens
A la peau de crapaud huilée, irisant la terre
Tant de beauté
Filigranes de givre
Écume de vase
Nacre d'escargot
Plus qu'humbles.

Les visibles remous de la mer
Et le visage nu, sans défense, de l'homme
Et les cyclamens repliant leurs oreilles.
Longs, pensifs, des bourgeons, fins museaux de lévriers
Songeurs, encore sans présence,
Surgis de terre
Entre ses orteils.

Rose d'aurore
En de subtils délices, cyclamens,
Générés de la pierre, jeunes cyclamens,
Cambrés,
Alertes, dressant leurs oreilles
Comme de fragiles et tendres levrettes
A moitié baillant à la neuve annonce du jour,
Repliant leurs pétales, oreilles sourdes.

Levrettes
Inclinant en rêvant leurs museaux roses
A douce haleine, rebelles à l'éveil du jour nouveau
Encore en de subtils délices.
Ah, matin de méditerranée, aube du monde !
Lointains matins de Méditerranée,
Rivages nus des Pélages,
Et cyclamens épanouis.

Le lièvre soudain gravit la colline
Couchant ses longues oreilles, sans trêve de bonheur.

Et toi, gagnant les pâles rivages pierreux de Méditerranée, blancs d'écume,
Toi, cyclamens rose, éclaireur extasié !
Cyclamens, cyclamens au mufle vermeil
En bandes, comme font les lièvres sauvages,
Mufle à mufle, oreilles aux aguets,
Chuchotis de sorcières
Comme des femmes au puits, à la source d'aurore.

La Grèce, et le matin du monde
Où les marbres du Parthénon protégeaient encore les racines du Cyclamen.
Violettes
Violettes païennes au mufle rose
Automnales
Roses d'aurore,
Aube pâle
Parmi les lourdes feuilles-crapauds émaillant
Les marbres futurs de l'Erechtéion.

D. H. Laurence, Le navire de la mort et autres poèmes, Orphée, La Différence