vendredi 25 décembre 2009

D. H. Laurence (2)

..........NÈFLES ET SORBES

Je vous aime pourries
Délicieuse pourriture.

J'aime vous aspirer hors de vos peaux
Si sombres, si molles et si suaves
Si morbides, comme disent les Italiens.

Quel parfum rare, puissant, plein de réminiscences
Monte de votre chute à travers les étapes du déclin :
Jaillissement dans le jaillissement.

Quelque chose du parfum du muscat de Syracuse
Ou du vulgaire Marsala.
Quoique même le mot Marsala a un goût précieux
Dans notre Ouest timoré.

Qu'est-ce que c'est ?
Qu'est-ce qui, dans le raisin devenant raisin sec,
Dans le nèfle, dans la sorbe,
Outres à vins d'une morbidité sombre,
Excrément automnal,
Qu'est-ce qui, dans tout cela, nous rappelle les dieux blancs ?

Des dieux nus comme des cœurs d'amandes
Étrangement, presque sinistrement d'une odeur charnelle
Comme mêlée de sueur
Et ruisselante de mystère.

Sorbes, nèfles à couronnes mortes.
Je dis, merveilleuses sont les expériences infernales,
Orphiques, précieux
Dionysos du monde d'En-bas.

Un baiser et un spasme d'adieu, l'orgasme du moment de la séparation,
Puis, de nouveau seul sur la route mouillée, jusqu'au prochain tournant.
Et puis un nouveau partenaire, un nouveau départ, une nouvelle de-fusion en deux
Un nouveau sursaut d'isolement encore,
Une nouvelle intoxication de solitude, parmi les pourrissantes feuilles gelées.

Descendant les ruelles étranges de l'enfer, de plus en plus intensément seul,
Les fibres du coeur se détachant l'une après l'autre
Pendant que l'âme continue, pieds nus, toujours plus vigoureusement incarnée
Comme une flamme de plus en plus blanche,
Dans des ténèbres de plus en plus sombres,
Toujours plus exquise, distillée à l'écart.

Ainsi dans les étranges cornues des nèfles et des sorbes
L'essence distillée de l'enfer.
L'odeur exquise des adieux.
............Jamque vale !
Orphée et les tortueuses, touffues, silencieuses ruelles de l'enfer.

Chaque âme s'éloignant avec sa propre solitude,
La plus étrange de toutes les étranges compagnes
Et la meilleure.

Néfliers, sorbiers,
Plus que douce
Sève de l'automne,
Puisée hors de vos gousses vides

Et sirotées peut-être avec un peu de Marsala
Pour que la vigne grimpante qui tombe du ciel puisse ajouter sa saveur aux vôtres,
Orphiques adieux, et adieux, adieux
Et l'ego sum de Dionysos
Le sono io de la parfaite ivresse
Griserie de la solitude finale.

...
Orphic farewell, and farewell, and farewell

And the ego sum of Dionysos
The sono io of perfect drunkenness
Intoxication of final loneliness.

San Gervasio

D. H. Laurence, Sous l'étoile du Chien, Orphée, La Différence