lundi 18 janvier 2010

Guillevic (7)

...........JE T'ÉCRIS

Je t'écris d'un pays où il fait noir
Et ce n'est pas la nuit.

Je t'écris
Parce qu'il fait noir.

Je t'écris sur le mur
Qui est au fond du noir.
..................~
Il y a le noir puisqu'il me fait t'écrire.
Il y a le mur puisque j'écris dessus.
Et c'est pour toi.

Je ne sais pas ce qu'est ce noir,
Je suis dedans.

Je t'écris sur un mur au fond du noir.
..................~
Je sais que dehors
Il ne fait pas noir.
..................~
Le plus souvent le mur est droit,
Mais je crois qu'il s'incurve.

Lorsque je dis
Qu'il est au fond du noir,
C'est pour me rassurer.

J'écris sur lui
Pour que ce soit utile.
..................~
Si jamais tu lis sur ce mur
Ce que j'écris pour toi,

Tu sauras peut-être
Où j'étais parqué.
..................~
Mais pourtant si c'était
Sur ton mur que j'écris,
Sur le mur au fond
Du noir où tu es
Et tu ne saurais pas
Que j'y écris pour toi ?
..................~
Je te sais, soleil,
Je vous sais, pommiers.

Je connais l'étrange
Variété du noir
Qui a nom lumière.

De son royaume j'ai tremblé.
..................~
Je n'ai pas d'horizon
Au-delà de ce mur
Sur lequel je t'écris.

Je n'écrirai pas plus
Que je ne peux savoir.
..................~
J'écris la vérité que supporte le mur
Au fond du noir.
...

Guillevic, Sphère suivi de Carnac, Poésie Gallimard

dimanche 17 janvier 2010

Traces (1)

Valérie Rouzeau (6)

Je me remets en ligne au lieu de scriber rien
Partante à mes marques prête

Redémesure ma chance bol et déconfiture
Partie pieds décalés
Je serais une étoile ne serais pas plus rien que mon poids
....de gaieté mon volume de chagrin ne serais pas moins
....loin de vos yeux qu'aujourd'hui
Me revoilà en train de plus belle sur les rails
J'aurai roulé ma vie
Foncé dans ma charrette songé dans mon tonneau
Tracé mes cartes de tendre
Et mon esprit de ciel si j'en ai ira bien jusqu'au bout
....de sa peine jusqu'au bout de sa joie partante à vos
....marques prête
J'aurai beaucoup couri
j'aurai beaucoup couru
Me serai entartré le cœur qu'il soit pas nu sentiment
.... jamais vu et le reste ça me regarde
Je suis mon propre clown l'histrion lessivé bozo bozo
....beaux yeux
Je suis ma propre piste mon chemin de traviole mes
....bosses et puis mes creux mon histoire somme toute
....vraie ma déroute à mesure

Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu'il fait

samedi 16 janvier 2010

Pierre Louis Gadenne (6)

Mes mots, mes sentiments, avaient peu d'impacts sur elle
Elle n'avait pas beaucoup de sympathie pour elle-même


.........°°°

Cruellement,

Elle me privait du désir



.........°°°

S'il ne l'est pas, il finira par l'être

Amoureux, que feras-tu de lui ?


Pierre Louis Gadenne, Lettres d'Amérique, Horizons

D. H. Laurence (4)

SONG OF A MAN WHO IS LOVED

...Three sides set on me chaos and bounce, but the fourth side rests
...Sure on a haven of peace, between the mounds of her breasts

Entre ses seins je demeure, entre ses seins.
Sur trois côtés j'affronte le vide et la peur,
Mais le quatrième est un donjon entre ses seins.

Ayant longtemps connu le monde, jamais je n'ai confié
Combien il m'angoisse et comme sont durs et compacts
A mes yeux les rochers et la terre, pénible l'air,
Et le reflux des eaux vers l'occident.

(...)

Entre ses seins je demeure, entre ses seins.
Sur trois côtés j'affronte désordre et chaos,
Mais le quatrième est un havre de paix entre les collines de ses seins.

Je suis ce que je suis, pas davantage, mais je le suis,
Rien ne pourra m'en dépouiller. Alors je touche
Enfin la douceur que je n'ai pas, la tendre douceur qui est en elle.

Et le chaos convulsif qui crépite comme de la mitraille
Me laisse au moins une issue vers la paix, ardente aurore à l'est
Où son giron pour moi s'attendrit, où se calme le tumulte.

J'espère alors pendant l'éternité
Enfouir mon visage entre ses seins,
Et que mon cœur s'apaise en pleine confiance,
Ses seins pesant dans mes mains tranquilles.

D. H. Laurence, Le navire de la mort et autres poèmes, Trad. F. J. Temple, Orphée, La Différence

Valérie Rouzeau (5)

Gravillons tout du long derrière et devant large l'horizon qui fait
... les pieds le jour le beau

Ce ne sera pas du temps perdu ma peine d'amour
Et ce ne sera plus d'amour ma peine perdue
Je pars dérouler mes saisons sur de la bonne route pure et dure
Je repars l'ombre dans le dos le soleil dans l'œil l'idée claire

Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu'il fait

Guy Goffette (1)

........FRIGILIANA

Bien sûr il y a la montagne,
et le ciel tout autour est d'un bleu
à dégriser les anges qui
lacent et délacent ces chemins

où nos yeux accrochent
les oliviers, les petites maisons
blanches et cabrées comme
des cyclistes dans la descente.

Mais ici sur la terrasse cisaillée
de cigales et sous le bougainvillier
qui grimpe il n'y a rien
de part et d'autre de la table,

rien à quoi retenir nos larmes.

Guy Goffette, in Ton monde est le mien - 39 poètes contemporains. Une
anthologie présentée par Guy Rouquet, L'atelier imaginaire, Le castor astral.

vendredi 15 janvier 2010

Valérie Rouzeau (4)


Un jour je resterai si longtemps qu'au matin

J'aurai un oiseau sur l'épaule un oiseau sur l'épaule un oiseau sur la tête
Un jour jamais plus je ne saurai retourner dans ma vie


..............°*°*°

Faut me résoudre ici moi pas à pas d'amour
Me remettre en état de marche
Tout recopier cent fois ça m'apprendra par cœur
Réparer mes erreurs de frappe
Connaître mon bonheur y gagner du terrain
Dire ça va tout du long ça va
Avancer mes raisons plus loin toujours plus loin
Taper des dix doigts mes torts vite
Dégager bien de ciel la belle affaire d'étoiles
Coup franc la faute au bleu je remarque
Dans la lucarne quelle chance


Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu'il fait

dimanche 10 janvier 2010

Poèmes persans (1)

LA BLESSURE

Ce n’est pas le Kandjar qui l’a faite :

Mes ennemis étaient sous leurs tentes.

Ce n’est pas une vengeance échue :

Ceux que j’ai offensés sont morts de ma propre main.

Ce n’est pas le hasard aveugle :

Le hasard quand il croise ma route devient clairvoyant.
Si ma vie se répand et me quitte
C’est que ses yeux m’ont blessé à mort
Et qu’Elle en aime un autre.

**

L’OBSESSION

Je vois le soleil éblouisseur,
Et ce sont ses yeux.
Je caresse l’ambre de mon chapelet,
Et c’est sa joue.
J’aperçois le cyprès altier,
Et c’est sa taille.
Je respire la rose de Kasvine,
Et c’est son haleine.
J’entends chanter l’eau du kanout,
Et c’est sa voix.
Et si je marche sur une vipère,
C’est encore Elle qui me hante.

Anonyme, Ghazels - Poèmes persans, traduits par Marguerite Ferté
http://www.ebooksgratuits.com/

Valérie Rouzeau (3)

...................GUE DIGUE DON
..........(petite suite télégraphique classique)

...........................3.

Au solstice d'hiver ta chanson malingre n'enguirlande rien qu'une ou deux secondes
Ce sont les vieux bonhommes qui dirigent le vieux monde depuis trop longtemps
Si tu pouvais déverser dans la hotte de celui-là le gros que tu as sur la patate
Rigoler comme un vrai ruisseau
Apprendre le russe et le chinois
Compter jusqu'à vingt-deux ou trois
Embrasser qui quoi tu voudras.

...........................6.

Ci gire le refrain des amants quelle bonne révolution vas prendre
On dirait qu'il a plu ta vie quitte ton ciré arrête ton char plein de canards et de pingouins
Prends-toi une année rhétorique lunatique panoramistique
Pose bonne distance pied de travers pied de la lettre et courant d'air
Mesure ta chance
Ne retiens rien.

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait

Sylvia Plath (1)

............................FINISTÈRE

C'était la fin des terres : les derniers doigts, noueux et rhumatismaux,
Crispés sur rien. Des falaises
Noires et menaçantes, et la mer qui explose
Sans fond, sans fin, sans rien face à elle,
Blanchie par les visages des noyés.
C'est tout simplement lugubre maintenant, un tas de rocs -
Soldats rescapés de sales guerres d'autrefois.
La mer canonne à leurs oreilles, mais ils ne bronchent pas.
D'autres rocs dissimulent sous l'eau leurs rancunes.

Les falaises sont bordées de trèfles, étoiles et clochettes
Telles que les doigts peuvent en broder, à l'approche de la mort,
Presque trop petits pour que les brumes s'en soucient.
Les brumes font partie de l'antique attirail -
Âmes roulées dans le grondement funeste de la mer.
Elles meurtrissent les rocs, les font disparaître, les ressuscitent.
Elles se lèvent sans espoir, comme des soupirs.
Je marche parmi elles, et elles m'emplissent la bouche de coton.
Lorsqu'elles me libèrent, mon visage est perlé de larmes.

Notre-Dame des Naufragés avance à grands pas vers l'horizon,
Ses jupes de marbre rabattues en deux ailes roses.
Un marin de marbre, éperdu, est agenouillé devant elle, et devant lui
Une paysanne en noir
Prie ce monument du marin qui prie.
Notre-Dame des Naufragés est trois fois plus grande que nature,
Ses lèvres ont la douceur de la divinité.
Elle n'entend pas ce que dit le marin ni la paysanne -
Elle est amoureuse de la beauté informe de la mer.

Des dentelles aux couleurs de mouettes claquent dans les courants d'air marins
A côté des stands de cartes postales.
Les gens du pays les lestent avec des conques. On vous dit :
"Voici les jolis bibelots que la mer dissimule,
De petits coquillages assemblés en colliers et en dames miniatures.
Ils ne viennent pas de la Baie des Morts un peu plus bas,
Mais d'un autre lieu, tropical et bleu,
Où nous ne sommes jamais allés.
Voici vos crêpes. Mangez-les avant qu'elles ne refroidissent."

Sylvia Plath, Arbres d'hiver précédé de La Traversée, Poésie Gallimard

samedi 9 janvier 2010

Valérie Rouzeau (2)

..........OBJECTION : A LOVE POME POUR 2 VOIX
.......................(poème interminable)

Vieil amant mal aux dents mal au dos pas cadeau déglingue sûre si ça dure rends-toi compte : no future

Quel présent quel dingue don maintenant profitons !

Profiteroles le temps vol coule et tout croule

Course folle vent roucoule cailloux roulent faire est foule

Foule de quoi secoue lance ses dès ou ses osselets avant toi m'en irai c'est dans l'ordre des choses je vais mourir d'abord

Tu vas m'ouvrir d'abord comme Nerval en verlan ou William en longs vers si j'expire la première cela peut arriver accident de vélo broyé contre un pommier une voiture dans platane l'avion qui tombe à l'eau le bateau chaviré une balle perdue ronde ronde au fond du pré carré ou dans quelle avenue de grande ville allumée et le cœur tiens qui stoppe d'un coup sans prévenir

Quelle improbabilité tu me déraisonnes là : le temps sapera tout

Le temps passera c'est tout mais nous en connaîtrons l'or et d'ores et déjà

L'or et l'or et l'ordure... il ne faut pas rêver.

Mais tu n'es pas un rêve si l'amour s'invente bel

L'amour s'évente et bien, entends ce que je dis, je désire hiver calme pas retraite aux flambeaux lune de miel sur les flots et gondoles à Venise je veux finir en paix

Accorde-nous une chance vivons au jour le jour notre histoire à la joie

Le manège la routine casseroles et serpillières balais torchons serviettes éponges plonges piles d'assiettes nous auront à l'usure

Manège cocasse tournis tes baisers me transportent soucoupes fusées ovnis !

Tu n'y penses pas vraiment ?!

Mais que si ! Songe à la poésie !

Justement elle est cuite d'avance la poésie en faitouts en marmites cocottes et poêles à frire !

Je reconnais l'oiseau son refrain seriné sa façon de vous dire qu'il ne s'en laisse conter...

Je hais la poésie

Moi non plus souviens-toi c'est pourquoi aujourd'hui je te vole dans les plumes

Et te prête ma lume

Ta lume au clair de quoi je t'écrirais un doux billet dessous la lune : es-tu l'ami Pierrot ?

Ma lume de vieux mec assagi aguerri mon éclairage que tu voies mieux les choses en face...

Flamme ferait pas l'affaire en matière de lumière que tu me donnerais au lieu de prêter pingre ?

Tu ne veux rien entendre de ce que j'argumente !

Et toi donc si tu défermais tes écoutilles !

Tu me flûtes romance tu me sonnes de ces cloches et bientôt glas glas glas !

Port nawak je te parle de vie pas de trépas tu ne me comprends pas ou alors de travers...

Clownette tu m'exaspères

J'essaye tout simplement d'un peu te décider t'amuser te distraire !

Là tu me désespère !

Alors tu me laisses tomber en amour seule ?

Je ne peux pas te suivre tu divagues tu es ivre

Je refuse ton refus toi aussi tu as bu

Mais j'ai de la distance j'ai quand même l'expérience

Ah d'accord et moi presque j'aurais de l'innocence !

Je n'ai jamais dit ça

Tu as dit quoi tu as dis-moi songé à quoi ?

Nulle Nuit d'été désormais me transformera

Suis pas une fée je ne m'appelle pas Titania mais garde ta bougie c'est chant d'elle chant de moi je m'en va je m'en va...

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait

Valérie Rouzeau (1)

..............RÉPÉTITION

On ne connaît pas le cœur des gens
Il est tant mal visible que parfois
On cogne dedans
Quelle misère de prendre le train
Quand au bout il n'y a personne rien
On ne sait pas l'avis des anges
Non plus que des moulins à eau
On se sert un grand verre de vin
Dans une maison avec enfants avenir chien
Le quai fait des bruits de chaussures
Le quai fait des bruits de valises à roulettes et des bruits d'avant
Le quai est vide vide vide on bute dans l'air
Pardon messieurs dames j'ai cru à un nuage
Vous êtes innombrables qui ne m'êtes personne
Je suis innombrable et comme vous presque rien
Prenons donc un pot amical au lieu d'un pot au noir d'un mauvais coup
On ne connaît pas d'autre cœur dans le noir que le nôtre et encore
Ni dans le jour non plus alors à la bonne vôtre
Et nous débarquerons sous le soleil battant.

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait

mardi 5 janvier 2010

Prévert (1)


ET TA SŒUR ?

C'est la beauté,

dit la détresse,


La volupté,

dit la douleur,


La cruauté,

dit la tendresse,


L'indifférence,

dit le désespoir.


La mort,

dit le malheur.


Ma sœur,

c'est l'amour,

dit l'heur

le bon heur


Jacques Prévert,
Choses et autres, nrf, Folio