............................FINISTÈRE
C'était la fin des terres : les derniers doigts, noueux et rhumatismaux,
Crispés sur rien. Des falaises
Noires et menaçantes, et la mer qui explose
Sans fond, sans fin, sans rien face à elle,
Blanchie par les visages des noyés.
C'est tout simplement lugubre maintenant, un tas de rocs -
Soldats rescapés de sales guerres d'autrefois.
La mer canonne à leurs oreilles, mais ils ne bronchent pas.
D'autres rocs dissimulent sous l'eau leurs rancunes.
Les falaises sont bordées de trèfles, étoiles et clochettes
Telles que les doigts peuvent en broder, à l'approche de la mort,
Presque trop petits pour que les brumes s'en soucient.
Les brumes font partie de l'antique attirail -
Âmes roulées dans le grondement funeste de la mer.
Elles meurtrissent les rocs, les font disparaître, les ressuscitent.
Elles se lèvent sans espoir, comme des soupirs.
Je marche parmi elles, et elles m'emplissent la bouche de coton.
Lorsqu'elles me libèrent, mon visage est perlé de larmes.
Notre-Dame des Naufragés avance à grands pas vers l'horizon,
Ses jupes de marbre rabattues en deux ailes roses.
Un marin de marbre, éperdu, est agenouillé devant elle, et devant lui
Une paysanne en noir
Prie ce monument du marin qui prie.
Notre-Dame des Naufragés est trois fois plus grande que nature,
Ses lèvres ont la douceur de la divinité.
Elle n'entend pas ce que dit le marin ni la paysanne -
Elle est amoureuse de la beauté informe de la mer.
Des dentelles aux couleurs de mouettes claquent dans les courants d'air marins
A côté des stands de cartes postales.
Les gens du pays les lestent avec des conques. On vous dit :
"Voici les jolis bibelots que la mer dissimule,
De petits coquillages assemblés en colliers et en dames miniatures.
Ils ne viennent pas de la Baie des Morts un peu plus bas,
Mais d'un autre lieu, tropical et bleu,
Où nous ne sommes jamais allés.
Voici vos crêpes. Mangez-les avant qu'elles ne refroidissent."
Sylvia Plath, Arbres d'hiver précédé de La Traversée, Poésie Gallimard