dimanche 9 octobre 2011

Séféris (1)

AYANAPA, I

Et tu vois la lumière du soleil comme disaient les anciens.

Pourtant je croyais toutes ces années que je voyais

marchant entre la montagne et la mer

conversant avec les hommes aux cuirasses parfaites ;

étrange, je n'avais pas remarqué que je voyais seulement leur voix.

C'était le sang qui les forçait à parler, le bélier

que j'égorgeais et étendais à leurs pieds

mais la lumière n'était pas le fameux tapis rouge.

Tout ce qu'ils me disaient il fallait que je le palpe

comme lorsqu'on te cache traqué la nuit dans une étable

ou que tu atteins enfin le corps aux profonds replis d'une femme

et que la chambre est pleine d'odeurs étouffantes ;

tout ce qu'ils me disaient peau écorchée et soie.


Étrange, je la vois ici la lumière du soleil ; le filet d'or

où les choses frétillent comme les poissons

qu'un grand ange ramène

avec les filets des pêcheurs


Georges Séféris,
Journal de bord, traduit du grec par Vincent Barras, Éditions Héros-Limite