....L'autre : - Il est vrai, je me demande parfois s'il est juste d'aimer les arbres comme vous le faites, et si vous ne vous égarez pas.
....L'un : - Il n'y a qu'une chose dont je me soucie vraiment : le réel. Presque toute notre vie est insensée, presque toute elle n'est qu'agitation et sueur de fantômes. S'il n'y avait ce "presque" avec ce qu'il signifie, nous pourrions aussi bien nous avilir ou désespérer.
....L'autre : - Je parlais de votre amour des arbres.....L'un : - Il n'est pas séparable de ce que j'ai dit. Venez que je vous en montre quelques-uns qui parleront mieux que moi. Ce sont des peupliers et quelques saules ; il y a une rivière auprès pour les nourrir, et une étendue d'herbes déjà, bien que nous soyons encore en mars. C'est en ce mois que, dans les forêts qui avoisinent Paris, j'ai ressenti pour la première fois peut-être à les voir une impression obscure et profonde, et maintenant je la retrouve ici, où il n'y a plus guère de forêts, et presque point d'eau.
....L'autre : - Je ne vois rien de si étrange pourtant.
....L'un : - Il n'y a jamais rien de "si étrange" dans ce qui me fascine et me confond. Je puis même dire en très peu de mots, et des plus simples, ce que nous avons sous les yeux : la lumière éclairant les troncs et les branchages nus de quelques arbres. Pourtant, quand je vis cela naguère, et maintenant que je le revois avec vous, je ne puis m'empêcher de m'arrêter, d'écouter parler en moi une voix sourde, qui n'est pas celle de tous les jours, qui est plus embarrassée, plus hésitante et néanmoins plus forte. Si je la comprends bien, elle dit que le monde n'est pas ce que nous croyons qu'il est.
(...)
Philippe Jaccottet, La promenade sous les arbres, La bibliothèque des arts
....L'autre : - Je ne vois rien de si étrange pourtant.
....L'un : - Il n'y a jamais rien de "si étrange" dans ce qui me fascine et me confond. Je puis même dire en très peu de mots, et des plus simples, ce que nous avons sous les yeux : la lumière éclairant les troncs et les branchages nus de quelques arbres. Pourtant, quand je vis cela naguère, et maintenant que je le revois avec vous, je ne puis m'empêcher de m'arrêter, d'écouter parler en moi une voix sourde, qui n'est pas celle de tous les jours, qui est plus embarrassée, plus hésitante et néanmoins plus forte. Si je la comprends bien, elle dit que le monde n'est pas ce que nous croyons qu'il est.
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Philippe Jaccottet, La promenade sous les arbres, La bibliothèque des arts