jeudi 29 octobre 2009

Philippe Jaccottet (3)

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....Je ne sais pas très bien ce qu'il en est des frontières administratives, mais je devine qu'ici la Provence commence dans les sols. Il n'y a pas encore d'oliviers (le mistral les glacerait), mais des collines rocheuses, d'une certaine roche, sur lesquelles pousse en abondance le chêne-vert, arbre maigre, presque noir, pas du tout frémissant, arbre avare et vieux, protecteur de la truffe ; puis, des genévriers hérissés, le thym noueux, des genêts à balais ; plutôt arbustes qu'arbres, et toujours ce qu'il y a de plus sec, de plus tordu, ne donnant aucune ombre, aucun murmure, mais d'intenses parfums ; et dans le terreau meuble, des lichens gris, mille espèces de graines pareilles aux rouages minuscules d'un mécanisme de bois, de loin en loin une petite fleur extrêmement rose, et la pierre. Ailleurs, sur des versants, tremblent des pins. Puis, si l'on descend, tout change.
....Car le terrain est inégal ; ce n'est ni un plateau, ni une vallée, mais une confusion de dépressions et de collines, et, dans ces creux, le Dauphiné s'achève. Des rivières basses ou des ruisseaux toujours clairs coulent entre des rives d'herbe abondante ; des marécages même étincellent vers le soir, dans des enclos de saules et de peupliers où tournoient les rapides hirondelles... Somme toute, un pays de montagnards et de nymphes. (...)

Philippe Jaccottet, La promenade sous les arbres, La bibliothèque des arts