J'ai beaucoup parlé seul. Soudain une phrase sortait de ma bouche. Je la disais à la maison qui attendait ma voix. J'ai vécu si longtemps à l'intérieur d'elle qu'un échange s'est établi entre ses pierres et moi. Je sens que je fais partie d'une nature minérale commune. Son silence est le mien, il est intérieur. Le silence du dehors, de la campagne, total certains soirs de brouillard, ne ressemble pas au nôtre capable d'absorber les sons, quand même ma respiration et les battements de mon cœur se dissipent et que je ne les perçois plus. La maison me répond. Sa voix n'appartient pas aux hommes : elle jaillit de la pierre volcanique des murs, née au temps où l'écorce terrestre était en fusion et la matière mère de toutes choses. C'est une voix qui a bouillonné dans les fleuves de feu jaillissant en gerbes de la mare des cratères. Quant le vent balaie sa poussière, l'asperge de gouttes grises et bleues, la pierre murmure des comptines. Parfois c'est un timbre sonore où je distingue des syllabes incohérentes, d'autres fois je comprends des phrases entières. Mon oreille s'est exercée à écouter les pierres. (...)
Erri de Luca, Acide, Arc-en-ciel, Gallimard/Folio