dimanche 21 février 2010

Georges Perros (2)

A force de vivre je crois
que ce qui me reste de foi
je m'excuse c'est la paresse
Par paresse j'ai fait ceci
et cela que ne devais faire
Aussi bien me suis-je abstenu
non par morale ou par vertu
de travaux pour moi secondaires
et qui sont pourtant répandus
à tel point que ne pas les faire
est mal vu Si je vis en marge
c'est par goût d'une liberté
qui passe pour anecdotique
je m'en soucie peu Je n'ai pas
le complexe du temps passé
de ce que je fus même si
j'en dois tirer quelque avantage
Je recommencerai demain
à n'être que ce rien de rien
qui n'a dans les mains dans les poches
dans le crâne que ce rien-là
et ce n'est pas parce qu'en vers
très contestables d'un côté
comme de tout autre aussi bien
je proclame ma nullité
qu'il faut la prendre à la légère
Je me passe très bien de tout
ce qui peut faire vivre un homme
J'ai besoin d'un peu d'argent pour
qu'on mange autour de moi Je fais
rien que pour cela nécessaire
Bref déjà mort pour vous pour vous
mes amis que j'aimais tant voir
mais dénués de la tendresse
que je trouve parfois sans rire
au coin d'une ruelle où bat
le linge mouillé que la nuit
va rendre sec Tant pis pour moi
qui n'aime que la solitude
et qui ne tourne dans mon lit
que par désir d'y retourner
Mais les hommes sont trop fermés
les hommes aussi bien moi-même
j'en suis un à ne pas douter
mais qu'est-ce qu'un homme Et je m'aime
un tout petit peu Il le faut
pour supporter l'amour des autres.

Mais on m'a déjà dit souvent
que le moi n'était bon prophète
que dans l'absence stupéfaite
d'un miroir sans équivalent
Tout ce que j'ai fait dans ma vie
ou négligé de faire c'est
moins par volonté que besoin
de m'étonner d'être autre chose
que ce corps qui me trahirait
sans crier gare un jour prochain
et sans m'avoir laissé le soin
de le finir en juste cause.

Georges Perros, Une vie ordinaire, Poésie/Gallimard