lundi 8 février 2010

William Cliff (3)

Symphonie (extrait)

...
grave sommeil image de la mort
où vous plongez ô mes frères mortels
sommeil qui répare de leurs efforts
vos corps voués au coffre universel
pompe nocturne effrayant rituel
où s'en vont chaque nuit toutes les bêtes
qui depuis leur naissance le répètent
jusqu'au sommeil dont on ne revient plus
ah ! que ne peut-on du sommeil renaître
avec un cœur moins seul et moins reclus !

je suis courbé la tête basse
jaloux et triste pensant à la roche
de souffrance qui est notre terrasse
et qui nous mord de sa force féroce
quelques légers nuages très véloces
d'affections heureuses toujours la voilent
mais ce ne sont que de passagers voiles
qui ne peuvent empêcher que le roc
où est bâtie notre maison fatale
soit la souffrance forte comme un bloc

je me suis étendu dans l'air nocturne
appelant le sommeil qui nous délivre
des fers trop fermes de la vie diurne
et des raisons qu'on apprend dans les livres
ainsi je suis resté oui ainsi suis-je
resté un temps comme un cadavre inerte
laissant tourner dans l'orbe de ma tête
les images sans suite qui nous viennent
quand nous nous laissons être la conquête
du vieux sommeil de la nature humaine

entièrement je contemple ta forme
entièrement je ressens ta délice
entièrement je me sens un pauvre homme
devant ta forme nue qui me résiste
entièrement je cherche ce qui glisse
dans le voyage de mon rêve je
voudrais entièrement quitter tout ce
qui n'est pas dans ta forme dure et claire
afin d'être un autre homme et que mon seul
bonheur sur terre soit d'être en ton être

et aujourd'hui que tombe régulière
la pluie qui me dit n'être rien sur terre
et que ton corps s'éloigne loin de moi
entièrement ma tête trop légère
flotte comme un nuage qui là-bas
passe venu des lointaines chimères
pour retomber en gouttes sur le toit
entièrement qui par leur propre poids
coulent passivement dans les gouttières
pour disparaître entièrement en bas...

et refaisant un effort de mémoire
je révoque ta forme délicieuse
ton torse pur large comme une armoire
tes cuisses tes pieds ta queue lumineuse
ta fesse étroite ton aisselle creuse
où nichent les parfums les plus puissants
mais je suis si fatigué que mon chant
entièrement s'échappe avec la pluie
dont le tambourinement incessant
entièrement finit ma symphonie

William Cliff, Épopées, La table ronde