jeudi 26 août 2010

Pascal Quignard (6)

...........Chapitre XVI

............Desiderium

....J'ai longtemps cherché l'autre pôle de la fascination propre à la peinture romaine dans la poésie et dans la pensée latines sans l'y trouver. Quel pouvait être le pôle anti-magique qui s'opposerait à la fascination ? Qu'est-ce qui était capable de défasciner la sexualité romaine ? Qu'est-ce qui était capable de défasciner le fascisme ?
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....Tout dans la littérature romaine ancienne emprisonnait dans l'enchantement dont on se défendait, dans la peur qu'on niait, dans la crainte des démons qu'on multipliait les fantômes, la honte, l'avant-programme du péché chrétien, les fiascos.
....Non seulement Ovide : aussi bien Lucrèce, ou Suétone, ou Tacite.
....Deux ans s'écoulèrent.
....Tout à coup, plus de deux années plus tard, avec une curieuse sensation de détresse qui se mêlait à l'évidence, je découvris que j'avais voyagé, que j'avais exploré en vain les sites antiques. ....Je surpris que je n'avais pas à chercher ce qui n'était pas à chercher. L'autre pôle était sous mes yeux.
....Voici la thèse que je veux défendre : c'est, très étrangement, le désir, à Rome, qui tient le pôle négatif.
....C'est le désir lui-même qu'il fallait opposer à la fascination.
....Là aussi, comme pour le mot de fascinus, il suffisait d'écouter le mot lui-même. Le mot qui me paraissait à moi, moderne — et moderne constamment fasciné par les thèses modernes — le plus positif qui pût être : le désir est négatif.
....Le désir n'est pas seulement un mot dont la morphologie est négative. Le désir nie la fascination.
....Le mot romain de desiderium est un nom négatif mystérieux.
....Désirer désidère.
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Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 164-165