jeudi 26 août 2010

Pascal Quignard (4)

...............Chapitre premier

....Les fleuves s'enfoncent perpétuellement dans la mer. Ma vie dans le silence. Tout âge est aspiré dans son passé comme la fumée dans le ciel.
....En juin 1993 M. et moi vivions à Atrani. Ce port minuscule est situé le long de la côte amalfitaine, sous Ravello. C'est à peine si l'on peut dire que c'est un port. A peine une anse.
....Il fallait monter cent cinquante-sept marches sur le flanc de la falaise. On entrait dans un ancien oratoire édifié par l'ordre de Malte et doté de deux terrasses en angle qui donnaient sur la mer. On ne voyait que la mer. On ne percevait partout que la mer blanche, mouvante, vivante, froide du printemps.
....Tout droit, en face, de l'autre côté du golfe, dans l'aube, parfois, de très rares fois, on apercevait la pointe de Paestum et les colonnes de ses temples qui cherchaient à s'élever, sur la ligne fictive de l'horizon, dans la brume et dans l'inconsistance.
....En 1993 M. était silencieuse.
....M. était plus romaine que les Romains (elle était née à Carthage). Elle était très belle. L'italien qu'elle parlait était magnifique. Mais M. allait avoir trente-deux ans et je me souviens qu'elle était devenue silencieuse.
....Il y a dans toute passion un point de rassasiement qui est effroyable.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 9-10