jeudi 28 octobre 2010
Constantin Cavafy (1)
J'ai tellement fixé la beauté
que mes yeux en sont pleins.
Lignes des corps, lèvres rouges, membres voluptueux.
Chevelures comme empruntées
à des statues grecques ; toujours belles
même si en désordre, et qui tombent,
un peu, sur la blancheur des fronts.
Visages de l'amour comme les voulait mon art...
Dans les nuits de ma jeunesse,
dans mes nuits, furtivement rencontrés...
Constantin Cavafy, Poèmes, Ed. Héros-Limite
que mes yeux en sont pleins.
Lignes des corps, lèvres rouges, membres voluptueux.
Chevelures comme empruntées
à des statues grecques ; toujours belles
même si en désordre, et qui tombent,
un peu, sur la blancheur des fronts.
Visages de l'amour comme les voulait mon art...
Dans les nuits de ma jeunesse,
dans mes nuits, furtivement rencontrés...
Constantin Cavafy, Poèmes, Ed. Héros-Limite
lundi 25 octobre 2010
dimanche 24 octobre 2010
Erri De Luca (2)
.....Nous mangeons doucement en silence.
....Devant la nourriture, mes gestes se font plus lents. Làila se met à mon rythme et je vois son adagio prendre une grâce intense. Mon désir de la toucher s'accentue.
....Puis je sens que sa voix s'effrite, comme les sons au seuil du sommeil. Je l'entends me demander quelque chose et je lui réponds d'une seule partie de moi-même. L'autre, dans laquelle je me trouve, écoute la voix s'en aller, sans gouverne.
....Je commence par une musique, puis viennent des phrases d'une vie lointaine et je suis impuissant à les arrêter.
....Ils nous massacrent tous, ceux de la révolte.
....Nous giclons d'une cachette à l'autre.
....Nous portons sur nous l'odeur de la peur. Dans la rue, les chiens le sentent et nous suivent.
....Dans la fuite nous cherchons une vengeance.
....L'Argentine arrache une de ses générations au monde comme le fait une folle avec ses cheveux. Elle tue sa jeunesse, elle veut s'en passer. Nous sommes les derniers.
....Je suis ici depuis des années pour aimer une femme et maintenant je suis en guerre.
.......Ils nous massacrent tous, ceux de la révolte.
....Nous giclons d'une cachette à l'autre.
....Nous portons sur nous l'odeur de la peur. Dans la rue, les chiens le sentent et nous suivent.
....Dans la fuite nous cherchons une vengeance.
....L'Argentine arrache une de ses générations au monde comme le fait une folle avec ses cheveux. Elle tue sa jeunesse, elle veut s'en passer. Nous sommes les derniers.
....Je suis ici depuis des années pour aimer une femme et maintenant je suis en guerre.
Erri de Luca, Trois chevaux, Gallimard
samedi 23 octobre 2010
Erri De Luca (1)
J'attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la mouche.
J'attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux vieux qui s'aiment.
J'attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui aujourd'hui vaut peu de chose.
J'attache de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de souliers, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s'asseoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J'attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache de la valeur au voyage du vagabond, à la clôture de la moniale, à la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J'attache de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il existe un créateur.
Bien de ces valeurs, je ne les ai pas connues.
Erri De Luca, Œuvre sur l'eau, Poésie Seghers
jeudi 21 octobre 2010
Hilde Domin (1)
Vogel mit Wurzeln
Meine Worte sind Vögel
mit Wurzeln
immer tiefer
immer höher
Nabelschnur.
Der Tag blaut aus
die Worte sind schlafen gegangen.
Oiseaux à racines
Mes paroles sont des oiseaux
à racines
toujours plus profondes
toujours plus hautes
cordon ombilical.
Le bleu du jour s’épuise
les mots sont allés dormir
Hilde Domin, traduit de l’allemand par Marion Graf, La Revue de Belles-Lettres, 2010, 1-2
mercredi 20 octobre 2010
Fabio Pusterla (6)
Dove porta questa strada che nessuno più imbocca,
strada appena intuibile, sentiero
d'erbacce?
...
Où mène cette route où plus personne ne s'engage,
route que l'on devine à peine, sentier
de mauvaises herbes ?
Ici les gens roulaient sur le ventre, ricanant,
et l'on entendait des cris, de douleur aussi.
(Elle existe, elle existe même sans nous,
la possibilité d'un chemin .
Il faudra se tapir dans l'herbe, oublier quelque chose,
et toi, peur maudite,
nous devrons bel et bien te vaincre.)
Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes
strada appena intuibile, sentiero
d'erbacce?
...
Où mène cette route où plus personne ne s'engage,
route que l'on devine à peine, sentier
de mauvaises herbes ?
Ici les gens roulaient sur le ventre, ricanant,
et l'on entendait des cris, de douleur aussi.
(Elle existe, elle existe même sans nous,
la possibilité d'un chemin .
Il faudra se tapir dans l'herbe, oublier quelque chose,
et toi, peur maudite,
nous devrons bel et bien te vaincre.)
Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes
mardi 19 octobre 2010
Fabio Pusterla (5)
De ceux qui regardent la mer,
il en arrive chaque jour. Hommes en fuite.
Souvent ils restent en voiture,
ouvrant avec peine une fenêtre.
Mais l'un d'entre eux descend,
fume lentement appuyé à la balustrade.
Une demi-heure, une heure. Cela dépend. Puis il repartent,
repoussant avec soin le sable de leurs vêtements.
Pourtant il en reste toujours quelques traces
aux endroits les plus incongrus : sous le col,
derrière les oreilles, sur les paupières parfois.
Plus tard, il arrive à certains
de ne pas savoir où ils sont allés,
et encore moins pourquoi.
Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes
dimanche 17 octobre 2010
Fabio Pusterla (4)
.........Paesaggio
Qui piove per giorni interi, talvolta per mesi.
I sassi sono neri d'acquate,
i sentieri pesanti.
...
Ici, il pleut des jours entiers, parfois des mois.
Les pierres sont noires d'averses,
les sentiers lourds. ...
Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes
Qui piove per giorni interi, talvolta per mesi.
I sassi sono neri d'acquate,
i sentieri pesanti.
...
Ici, il pleut des jours entiers, parfois des mois.
Les pierres sont noires d'averses,
les sentiers lourds. ...
Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes
Sandro Penna (2)
Désert est le fleuve. Et tu sais qu'à présent
les solaires prouesses ne sont plus de saison.
Je baise dans tes aisselles, humides et fiers,
les parfums d'un été qui finit.
Sandro Penna, Poésies, Grasset, Les cahiers rouges
les solaires prouesses ne sont plus de saison.
Je baise dans tes aisselles, humides et fiers,
les parfums d'un été qui finit.
Sandro Penna, Poésies, Grasset, Les cahiers rouges
Sandro Penna (1)
Dans l'aube pluvieuse s'en est allé
mon amour d'un pas joyeux.
Je l'ai vu tourner l'angle, et de son dernier pas
une fois encore le cœur il m'a baisé.
La grisaille cède, la rue cède
devant la lumière de ses seize ans.
La grisaille cède, le temps cédera
à une lumière, pauvre mendiant que je suis.
Sandro Penna, Poésies, Grasset, Les cahiers rouges
mon amour d'un pas joyeux.
Je l'ai vu tourner l'angle, et de son dernier pas
une fois encore le cœur il m'a baisé.
La grisaille cède, la rue cède
devant la lumière de ses seize ans.
La grisaille cède, le temps cédera
à une lumière, pauvre mendiant que je suis.
Sandro Penna, Poésies, Grasset, Les cahiers rouges
samedi 16 octobre 2010
Chin Kuan (1)
.........Prenant le frais
canne à la main je sors en quête de la fraîcheur des saules
sur la berge au sud du pont laqué, je m'allonge dans une chaise pliante
sous la lune claire, d'une barque le son d'une flûte s'élève
le vent se calme, sur l'étang le suave parfum des lotus
L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel
canne à la main je sors en quête de la fraîcheur des saules
sur la berge au sud du pont laqué, je m'allonge dans une chaise pliante
sous la lune claire, d'une barque le son d'une flûte s'élève
le vent se calme, sur l'étang le suave parfum des lotus
L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel
Po Chu-yi (1)
...........Début d'automne, nuit solitaire
du paulownia près du puits, dans la fraîcheur les feuilles frémissent
du battoir à linge du voisin, dans l'automne le bruit s'élève
seul dans la véranda je m'endors
quand je me réveille, sur la moitié du lit le clair de lune
L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel
du paulownia près du puits, dans la fraîcheur les feuilles frémissent
du battoir à linge du voisin, dans l'automne le bruit s'élève
seul dans la véranda je m'endors
quand je me réveille, sur la moitié du lit le clair de lune
L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel
Lu Yu (1)
.............Le nouvel automne
le vent d'automne souffle comme une flûte claire
à la taverne la bannière est hissée, on peut y acheter à crédit
je chante joyeusement en traversant le petit marché
à mon chapeau bas est épinglée une fleur sauvage
une fille de la rivière me garde des crabes frais
un vieux jardinier m'offre des courges tardives
qui devinerait que, vieillard oisif,
je fais de ma vie une longue ivresse ?
L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel
le vent d'automne souffle comme une flûte claire
à la taverne la bannière est hissée, on peut y acheter à crédit
je chante joyeusement en traversant le petit marché
à mon chapeau bas est épinglée une fleur sauvage
une fille de la rivière me garde des crabes frais
un vieux jardinier m'offre des courges tardives
qui devinerait que, vieillard oisif,
je fais de ma vie une longue ivresse ?
L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel
jeudi 14 octobre 2010
lundi 11 octobre 2010
Kiki Dimoula (4)
...........Calchas
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'aide la nuit à s'agrandir,
à s'élargir,
à effacer les petites lumières parasites.
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'exerce de noirs c'est exclu
je lance des c'est exclu exercés
qui déchirent quelques dernières étoiles.
Je ne dors pas, je ne dors pas,
je change de sexe, deviens minuit.
Où me mèneras-tu, abattement,
je te retrouverai quelque part
puisque j'ai prêté serment d'insomnie.
Mes doses de somnifères
dorment comme des anges
et mon cerveau qui veille
les berce tout doucement.
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'aide la nuit à s'agrandir,
j'écris des slogans aux murs des rêves :
à bas les levers du jour des élevages de poules,
à bas les magouilles des espérances
"et on vous construira des maisons
et on vous fera des routes
et on vous apportera la pluie
et du vent, et du vent".
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'attends un dernier vieux fond d'obscurité
pour entrer chez le devin Calchas.
Je vais le tuer.
Il m'a plongé dans tout un sacrifice
pour que tu respires.
Mais toi, insomnie, tu te niches
sur chaque prophétie
en prenant bien ton temps.
Kiki Dimoula, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, nrf, Poésie/Gallimard
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'aide la nuit à s'agrandir,
à s'élargir,
à effacer les petites lumières parasites.
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'exerce de noirs c'est exclu
je lance des c'est exclu exercés
qui déchirent quelques dernières étoiles.
Je ne dors pas, je ne dors pas,
je change de sexe, deviens minuit.
Où me mèneras-tu, abattement,
je te retrouverai quelque part
puisque j'ai prêté serment d'insomnie.
Mes doses de somnifères
dorment comme des anges
et mon cerveau qui veille
les berce tout doucement.
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'aide la nuit à s'agrandir,
j'écris des slogans aux murs des rêves :
à bas les levers du jour des élevages de poules,
à bas les magouilles des espérances
"et on vous construira des maisons
et on vous fera des routes
et on vous apportera la pluie
et du vent, et du vent".
Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'attends un dernier vieux fond d'obscurité
pour entrer chez le devin Calchas.
Je vais le tuer.
Il m'a plongé dans tout un sacrifice
pour que tu respires.
Mais toi, insomnie, tu te niches
sur chaque prophétie
en prenant bien ton temps.
Kiki Dimoula, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, nrf, Poésie/Gallimard
samedi 2 octobre 2010
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