lundi 31 décembre 2012
François Sureau (1)
Un Breton sans mémoire harassé dans un port
Le canope aux serpents qui s'éveille d'abord
La colline juteuse aux fruits de fer et d'or
Le sol qui refuse l'homme et se tord
Le matin de ta grâce pour notre âme qui dort
Je vois le Pacifique et les maisons Tudor
Il s'en faudrait de peu que nous croyions aux sorts
La banque et le veau d'or
Les parlements d'accord
Les États de la mort
Mais je vois le trésor
Il n'y a pas d'île au nord
C'est ta voix qui m'endort
François Sureau, SANS BRUIT SANS TRACE, nrf Gallimard
mercredi 31 octobre 2012
mardi 30 octobre 2012
dimanche 21 octobre 2012
samedi 20 octobre 2012
Nicolas Bouvier (9)
"Un peu de couleurs et d'élan
de beauté et de mystère
vos airs battus, vos dos ronds
et vos histoires à la con
j'en ai plus rien à faire..."
dit la femme en brisant son verre
puis elle sortit son mouchoir et pleura.
D'ordinaire, elle ne parle pas
mais c'est l'idée qui l'a frappée comme ça
devant son verre de bière
que la même vie avec les mêmes
pourrait être comme de la soie
comme une musique continuelle
comme si la vie ... mon Dieu !
...
Bosnie, 1974
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Points/poésie.
dimanche 30 septembre 2012
dimanche 16 septembre 2012
dimanche 9 septembre 2012
dimanche 26 août 2012
Montagne (2)
Je m'adosse à son ombre,
je recueille dans mes mains son silence
afin qu'il gagne en moi et hors de moi,
qu'il s'étende, qu'il apaise et purifie.
Me voici vêtu d'elle comme d'un manteau.
Mais plus puissante, dirait-on, que les montagnes
et toute lame blanche sortie de leur forge,
la frêle clef du sourire.
Philippe Jaccottet, À la lumière d'hiver, Poésie/Gallimard
jeudi 23 août 2012
mercredi 8 août 2012
Italian Backgrounds (3)
Si par exemple l'on tourne le dos à l'ignoble hôtel, on a encore, un matin d'été, la vision la plus rare de bois, d'eau et d'architecture heureusement mêlés : la Sesia avec ses prairies douces et ses rives feuillues, ses vieilles maisons blotties au-dessus, et la haute falaise couronnées, par les chapelles du chemin de Croix. La nuit, tout se confond dans une beauté plus divine encore. Les grappes d'obscurité de la ville, avec ses lumières scintillantes, se répandent dans les plis des collines, délicatement tracés au clair de lune contre le ciel mauve. Ici et là, la lune polit une sombre masse d'arbres, ou isole un campanile aussi pâle et aussi précis qu'un objet d'ivoire ; tandis que loin au dessus, le sommet de la falaise lance contre le ciel, avec une pureté de contour presque grecque, les dômes blancs et les arches de l'oratoire.
mardi 7 août 2012
Italian Backgrounds (2)
Edith Wharton, Paysages italiens, Payot & RivagesEn revenant sur un ou deux kilomètres vers Sondrio, nous prîmes un tournant sur la gauche et nous nous mîmes à gravir les collines à travers les forêts de hêtres et de châtaigniers. À chaque coude de la route, les vues en contrebas de la Valteline vers Sondrio et Côme devenaient plus larges et plus belles. Qui n'a pas contemplé une telle perspective dans la prime lumière d'un matin d'août ne peut apprécier la vérité poétique de l'interprétation que propose Claude Lorrain de la nature : il nous semblait évoluer dans une galerie de tableaux suspendus. On y trouvait, à travers d'infinis degrés de distance, la même étendue de forêts onduleuses, les mêmes méandres argentés de la rivière, la même ligne aérienne de collines allant fondre dans un ciel sans limites.
Italian Backgrounds (1)
Edith Wharton, Paysages italiens, Payot & RivagesLe lendemain, nous conduisîmes à travers les grasses prairies de Tirano, l'une de ces villes italiennes sans histoire et sans renommée qui réservent à l'oeil attentif le trésor de leurs paisibles impressions. Il est difficile de nommer précisément un quelconque "effet" : l'amateur de paysages pressé n'y découvrirait que des rues ennuyeuses et des façades monotones. Mais par son ancienneté et son isolement, l'endroit est de grande qualité. Les maisons monotones sont des "palais" au fronton allongé et orné d'armoiries ; on y aperçoit des cours en arcades et des jardins où le maïs et les dahlias étreignent les statues brisées et étouffent les fontaines, où les raisins mûrissent sur le stuc décrépi des murs. Ici et là, on rencontre une église frivolement rococo, contrainte par le temps à se soumettre à son environnement dans une délicieuse harmonie ; une fontaine sur une place silencieuse, ou un balcon en fer forgé se jetant avec romantisme d'une façade à volets, ou l'un ou l'autre des cent détails caractéristiques qui composent la mise en scène de la moindre ville italienne. C'est précisément dans des lieux comme Tirano, où aucune beauté saillante ne fixe le regard, que l'on peut apprécier la valeur de ces détails, que l'on prend conscience de ce qu'on pourrait appeler la force négative du sens artistique en Italie. Lorsque le bâtisseur italien ne peut être grandiose, il peut toujours s'abstenir d'être mesquin ou trivial, et cette abnégation artistique donne à nombre de petites villes ternes, comme Tirano, la dignité architecturale dont nos grandes villes manquent.
lundi 6 août 2012
vendredi 3 août 2012
vendredi 6 juillet 2012
lundi 2 juillet 2012
Gerhard Richter (2)
Abstraktes Bild, 1997, 29 cm x 37 cm, Oil on Aludibond, Catalogue Raisonné: 841-11
Abstraktes Bild, 1994, 225 cm x 200 cm, Oil on canvas, Catalogue Raisonné: 809-3
Gerhard Richter (1)
Weiß, White, 2006, 30 cm x 44 cm, Oil on Aludibond, Catalogue Raisonné: 895-4
Weiß, White, 2006, 30 cm x 44 cm, Oil on Aludibond, Catalogue Raisonné: 899-6
Gestein, Rock, 2007, 50 cm x 66 cm, Oil on acrylic, Catalogue Raisonné: 903-3
samedi 30 juin 2012
Naturae (4)
mercredi 27 juin 2012
Blaise Cendrars (2)
Le ciel est comme la tente déchirée d’un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs
En Flandres
Le soleil est un fumeux quinquet
Et tout au haut d’un trapèze une femme fait la lune.
La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour
Et voici mon berceau
Mon berceau
Il était toujours près du piano quand ma mère comme Madame Bovary jouait les sonates de Beethoven
J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone
Et l’école buissonnière, dans les gares devant les trains en partance
Maintenant, j’ai fait courir tous les trains derrière moi
Bâle-Tombouctou
J’ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp
Paris-New York
Maintenant, j’ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie
Madrid-Stockholm
Et j’ai perdu tous mes paris
Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud
Je suis en route
J’ai toujours été en route
Je suis en route avec la petite Jehanne de France.
Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
Le train retombe sur ses roues
Le train retombe toujours sur toutes ses roues.
“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours
Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré-Cœur contre lequel tu t’es blottie
Paris a disparu et son énorme flambée
Il n’y a plus que les cendres continues
La pluie qui tombe
La tourbe qui se gonfle
La Sibérie qui tourne
Les lourdes nappes de neige qui remontent
Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui
Le train palpite au cœur des horizons plombés
Et ton chagrin ricane…
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Les inquiétudes
Oublie les inquiétudes
Toutes les gares lézardées obliques sur la route
Les fils télégraphiques auxquels elles pendent
Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent
Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente
Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie
S’enfuient
Et dans les trous,
Les roues vertigineuses les bouches les voix
Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses
Les démons sont déchaînés
Ferrailles
Tout est un faux accord
Le broun-roun-roun des roues
Chocs
Rebondissements
Nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd…
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Mais oui, tu m’énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin
La folie surchauffée beugle dans la locomotive
La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route
Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel
La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade
Et fiente des batailles en tas puants de morts
Fais comme elle, fais ton métier…
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Oui, nous le sommes, nous le sommes
Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert
Entends les sonnailles de ce troupeau galeux
Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune
La mort en Mandchourie
Est notre débarcadère est notre dernier repaire
Ce voyage est terrible
Hier matin
Ivan Oulitch avait les cheveux blancs
Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours…
Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier
Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles
Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table
Le diable est au piano
Ses doigts noueux excitent toutes les femmes
La Nature
Les Gouges
Fais ton métier
Jusqu’à Kharbine…
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Non mais… fiche-moi la paix… laisse-moi tranquille
Tu as les hanches angulaires
Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse
C’est tout ce que Paris a mis dans ton giron
C’est aussi un peu d’âme… car tu es malheureuse
J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi sur mon cœur
Les roues sont les moulins à vent du pays de Cocagne
Et les moulins à vent sont les béquilles qu’un mendiant fait tournoyer
Nous sommes les culs-de-jatte de l’espace
Nous roulons sur nos quatre plaies
On nous a rogné les ailes
Les ailes de nos sept péchés
Et tous les trains sont les bilboquets du diable
Basse-cour
Le monde moderne
La vitesse n’y peut mais
Le monde moderne
Les lointains sont par trop loin
Et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme…
“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi je vais te conter une histoire
Viens dans mon lit
Viens sur mon cœur
Je vais te conter une histoire…
Oh viens! viens!
Aux Fidji règne l’éternel printemps
La paresse
L’amour pâme les couples dans l’herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers
Viens dans les îles perdues du Pacifique!
Elles ont nom du Phénix, des Marquises
Bornéo et Java
Et Célèbes a la forme d’un chat.
Nous ne pouvons pas aller au Japon
Viens au Mexique!
Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
C’est le pays des oiseaux
L’oiseau du paradis, l’oiseau-lyre
Le toucan, l’oiseau moqueur
Et le colibri niche au cœur des lys noirs
Viens!
Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d’un temple aztèque
Tu seras mon idole
Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange
Oh viens!
Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs,
Les nuits y sont démesurément longues
L’ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur
J’atterrirai
Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth
Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour
Samowar
Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle
Oh viens!
Jeanne Jeannette Ninette nini ninon nichon
Mimi mamour ma poupoule mon Pérou
Dodo dondon
Carotte ma crotte
Chouchou p’tit-cœur
Cocotte
Chérie p’tite chèvre
Mon p’tit-péché mignon
Concon
Coucou
Elle dort.
Elle dort
Et de toutes les heures du monde elle n’en a pas gobé une seule
Tous les visages entrevus dans les gares
Toutes les horloges
L’heure de Paris l’heure de Berlin l’heure de Saint-Pétersbourg et l’heure de toutes les gares
Et à Oufa, le visage ensanglanté du canonnier
Et le cadran bêtement lumineux de Grodno
Et l’avance perpétuelle du train
Tous les matins on met les montres à l’heure
Le train avance et le soleil retarde
Rien n’y fait, j’entends les cloches sonores
Le gros bourdon de Notre-Dame
La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélemy
Les carillons rouillés de Bruges-la-Morte
Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York
Les campanes de Venise
Et les cloches de Moscou, l’horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j’étais dans un bureau
Et mes souvenirs
Le train tonne sur les plaques tournantes
Le train roule
Un gramophone grasseye une marche tzigane
Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours.
...
samedi 23 juin 2012
Blaise Cendrars
J'étais triste comme un enfant
Les rythmes du train
La moelle chemin-de-fer des psychiatres américains
Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés
Le ferlin d'or de mon avenir
Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d'à côté
L'épatante présence de Jeanne
L'homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant
Froissis de femmes
Et le sifflement de la vapeur
Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel
Les vitres sont givrées
Pas de nature !
Et derrière, les plaines sibériennes le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent
Je suis couché dans un plaid
Bariolé
Comme ma vie
Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle
Écossais
Et l'Europe toute entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur
N'est pas plus riche que ma vie
Ma pauvre vie
Ce châle
Effiloché sur des coffres remplis d'or
Avec lesquels je roule
Que je rêve
Que je fume
Et la seule flamme de l'univers
Est une pauvre pensée….
samedi 2 juin 2012
Naturae (3)
lundi 28 mai 2012
dimanche 27 mai 2012
Ernst Jünger (2)
Ernst Jünger (1)
jeudi 24 mai 2012
William Cliff (4)
William Cliff, America suivi de En orient, Poésie/Gallimard
dimanche 20 mai 2012
Tomas Tranströmer (4)
LORSQUE NOUS REVÎMES LES ÎLES
Lorsque le bateau approche au loin
Les gouttes de mercure frémissent sur les vagues
et le gris-bleu s'étend.
L'océan s'en va jusque dans les cabanes.
Une lueur dans l'obscurité du vestibule.
Des pas lourds à l'étage
et ces coffres aux sourires fraîchement repeints.
Un orchestre indien de récipients de cuivre.
Un nouveau-né aux yeux de houle.
(La pluie cesse peu à peu.
La fumée fait quelques pas dans l'air
et chancelle au-dessus du toit.)
Voici encore davantage de choses
plus grandes que dans vos rêves.
La plage et les huttes des anguilles.
Une affiche portant l'inscription CÂBLE.
La vieille lande brille
pour celui qui vient à tire d'aile.
De fertiles lopins, derrière les rochers
et l'épouvantail, notre sentinelle
qui appelle les couleurs.
Cet étonnement toujours aussi immense
quand l'île me tend la main
et me tire de ma tristesse.
Tomas Tranströmer, in : Il pleut des étoiles dans notre lit. Cinq poètes du Grand Nord. Poésie/Gallimard
Erri de Luca (8)
Derrière le tournant je la retrouve,
elle est encore là, la maison, ni écroulée, ni brûlée.
Elle est plus vieille que moi,
je l'ai rénovée quand j'étais moi aussi en temps de rénovation.
S'écroulerait-elle que je ne me mordrais pas les mains
et je ne pesterais pas de rester sans toit.
J'ai encore le temps de voyager,
le bagage léger frapper aux portes
sans posséder de clés.
Je dois ça aux histoires, de me suffire,
moi aussi de leur suffire.
Avec crayon et cahier je peux écrire même quand gèle
l'encre dans mon stylo.
C'est la part qui me fut assignée,
héritage qu'on ne peut recevoir et laisser.
Je suis fait de ça, de pages feuilletées
et puis reposées.
Erri de Luca, Aller simple, Poèmes. Traduit par Danièle Valin. Gallimard
lundi 16 avril 2012
Antonella Anedda (1)
S'il suffisait de ceci : arriver quelque part
en prononcer parfaitement le nom, être à la maison.
Heureux hiver quand le nouvel hiver est passé
d'un début qui pour nous est encore sans nom
proche du chemin des filets, l'été
peut-être, un faible cercle de lueurs.
Autour des plantes seules
que tu n'aurais pas eu le temps de déplacer
de l'eau sur les pierres soufflées - la grêle
nous ne saurons jamais si elle est arrivée au bruit
qu'elle faisait sur les toits, là à ton époque
dans la propreté blanche et humaine des sanitaires.
Jusque là, juste des pas nets
que tu écoutes peut-être avec un ardent silence
et l'air entre les orangers agités lentement par la main des vivants.
Tu vois, ici pour la première fois, rien ne se perd.
Ce matin, ils ont battu la terre
froide- comblée par la joie des eaux
le vent dans la cour
a oublié pour toi
la barre de la chaise, la nuque renversée.
Bonne nuit maintenant qu'il fait nuit à nouveau
et il est faux que le gel durera
et doucement tu abaisses la pensée
peut-être un déclic déclenche-t-il quelque chose en hauteur
très haut -
une note
au-delà du bec, au-delà des yeux brillants d'un oiseau
un éclair de colline - celle-là en bas
collée au toit vert bronze de l'église.
Bonne nuit à toi
à jamais privée d'abîme une steppe de l'âme étouffée
où l'olivier se plie sans un bruit
Jérusalem de la quiétude
de la quiétude et du tronc qui encercle et inscrit la mort
qui l'aspire dans le vide et dans le vide la jette
et la mâche lentement.
Je n'ai ni voix ni chant
mais une langue tressée de paille
une langue de corde et du sel dans mon poing
plein pour chaque fissure
dans le portail de la maison qui frappe sur le tombeau dur de l'aube
de l'obscurité à l'obscurité,
pour qui reste
pour qui tourne.
Antonella Anedda, in Po&sie N°110, 1975-2004, 30 ans de poésie italienne - 2. Belin.
Mauro Ferrari (1)
III
Où il n'y avait que la fronce des collines
les lentes poussées millénaires et le balancement
des bois entre les automnes
une main a déposé un sanctuaire -
pendant les siècles des siècles vinrent
en file indienne, hostile patience, les corps.
IV
Ici tout est comme tu le vois, une herbe qui brille
Trois mois par an ; tout
a le goût d'une entaille dans la peau
et rien, non rien vraiment n'est jamais vraiment vivant.
V
Toute une crête au vent pulvérisée
Mais en un temps que tu ne sauras comprendre, et tu ne verras pas
que cette moraine se fasse poussière, que l'horizon s'ouvre.
Tutta una cresta che sfarina al vento
ma in un tempo incomprensibile, e non vedrai
questa morena farsi polvere, apirsi l'orizzonte.
Mauro Ferrari, in Po&sie N°110, 1975-2004, 30 ans de poésie italienne - 2. Belin.
mercredi 21 mars 2012
Nicolas Bouvier (8)
Quetta ; altitude 1800 mètres, 80 000 âmes, 20 000 chameaux.
Huit cents kilomètres à l'ouest, au bout du train, la Perse dort dans un manteau de sable. C'est l'autre versant du monde et rien, sinon la contrebande, ne la rappelle ici.
Au nord de la ville, une petite route militaire traverse la zone des cultures, s'engage dans une plaine aride puis s'élève jusqu'au col de Kodjak et aux massifs de la frontière afghane où les tribus voisines de Quetta ont leurs pâturages d'été. Malgré l'excellente piste qui conduit de la frontière à Kandahar, le trafic est pratiquement inexistant et la petite douane de Chaman est une fournaise où rien ne passe, sauf le temps.Vers le nord-est, un embranchement de la voie ferrée gagne Fort-Sandeman au pied des Monts du Waziristan. Les clans pathans qui les habitent - Massouds et Waziri - sont les plus coriaces de toute la frontière, tellement agressifs, experts en rapines et prompts à rompre leur parole, que les voisins sont unanimes à leur refuser la qualité de Musulmans et qu'il fallut quatorze expéditions punitives pour les convaincre qu'ils ne tenaient plus le bon bout.Enfin, vers le sud, la ligne principale, doublée d'une mauvaise route, descend sur la plaine de l'Indus et Karachi par la Passe de Bolan qui, la transhumance venue, s'engorge d'immenses troupeaux de chameaux transis déferlant vers la tiédeur et l'herbe d'automne.Voilà les points cardinaux. Ils sont lointains. Ils situent, mais ne pèsent pas sur la ville qui vit pour elle entre sa gare pareille à un jouet Second Empire, son canal ensablé et vibrant de moustiques et les cantonnements de la garnison où l'appel des bags-pipes précède le matin.
Nicolas Bouvier, L'usage du monde, Dessins de Thierry Vernet, Droz