vendredi 31 décembre 2010

Hermann Hesse (3)

...
In meinen Becher mit Wein ist ein Falter geflogen,

Trunken ergibt er sich seinem süßen Verderben,
Rudert erlahmend im Naß und ist willig zu sterben ;
Endlich hat ihn mein Finger herausgezogen.
...

Un papillon tombé dans ma coupe de vin
Au suave trépas se résigne et s'enivre ;
Déjà prêt à mourir, il nage encore en vain
Jusqu'à ce que mon doigt l'ôte enfin, le délivre.
...

Hermann Hesse, Poèmes choisis et traduits par Jean Malaplate, José Corti

jeudi 30 décembre 2010

landscape (6)


Puis vient enfin ce qui pourrait vaincre notre détresse,
l'air plus léger que l'air et sur les cimes la lumière,
peut-être les propos d'un homme évoquant sa jeunesse,
entendus quand la nuit s'approche et qu'un vain bruit de guerre,
pour la dixième fois vient déranger l'exhalaison des champs.
Jules Supervielle

Jules Supervielle (3)

...
C'est vous quand vous êtes partie,
L'air peu à peu qui se referme
Mais toujours prêt à se rouvrir
Dans sa tremblante cicatrice
Et c'est mon âme à contre-jour
Si profondément étourdie
De ce brusque manque d'amour
Qu'elle n'en trouve plus sa forme
Entre la douleur et l'oubli.
Et c'est mon cœur mal protégé
Par un peu de chair et tant d'ombre
Qui se fait au goût de la tombe
Dans ce rien de jour étouffé
Tombant des astres, goutte à goutte,
Miel secret de ce qui n'est plus
Qu'un peu de rêve révolu.

Jules Supervielle, La Fable du monde, suivi de Oublieuse mémoire, nrf Poésie / Gallimard

Jules Supervielle (2)

LA MER

C'est tout ce que nous aurions voulu faire et n'avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole et n'a pas trouvé les mots qu'il fallait,
Tout ce qui nous a quitté sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser par le fer sans jamais l'atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues parce qu'il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes par goût fondamental de l'éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore,
La mer.
Jules Supervielle, La Fable du monde, suivi de Oublieuse mémoire, nrf Poésie / Gallimard

mercredi 29 décembre 2010

Jules Supervielle (1)

.
...DANS L'OUBLI DE MON CORPS

Dans l'oubli de mon corps
Et de tout ce qu'il touche
Je me souviens de vous,
Dans l'effort d'un palmier
Près de mers étrangères
Malgré tant de distances
Voici que je découvre
Tout ce qui faisait vous.
Et puis je vous oublie
Le plus fort que je peux
Je vous montre comment
Faire en moi pour mourir.
Et je ferme les yeux
Pour vous voir revenir
Du plus loin de moi-même
Où vous avez failli
Solitaire, périr.

Jules Supervielle, La Fable du monde, suivi de Oublieuse mémoire, nrf Poésie / Gallimard

mardi 28 décembre 2010

Philippe Jaccottet (8)

...

Il y aura toujours dans mon œil cependant

une invisible rose de regret
comme quand au-dessus d'un lac
a passé l'ombre d'un oiseau


...* * *

Et des nuages très haut dans l'air bleu
qui sont des boucles de glace

la buée de la voix
que l'on écoute à jamais tue


Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, nrf Poésie / Gallimard

lundi 27 décembre 2010

Philippe Jaccottet (7)

..
........
L'AVEU DANS L'OBSCURITÉ

Les mouvements et les travaux du jour cachent le jour.
Que cette nuit s'approche et dévoile donc nos visages.
Une porte a peut-être été poussée en ces parages,
une étendue offerte en silence à notre séjour.

Parle, amour, maintenant. Parle, qui n'avais plus parlé
depuis des ans d'inattention ou d'insolence.
Emprunte à la légère obscurité sa patience
et dis ceci, telle une haleine dans les peupliers :

" Une douceur ardente en ce lieu me fut accordée,
nul ne m'en disjoindra qu'il ne m'arrache aussi la main,
je n'ai pas d'autre guide qui me guide en ce chemin,
sa fraîcheur et ses feux brillent tour à tour sur les haies... "

Mais que reste caché ce qui fait notre compagnie,
amour : c'est le plus sombre de la nuit qui est clarté,
innombrable est la source de nos gestes entêtés,
au plus bas de la terre est le vol ombreux de nos vies.

Dis encor, seulement : " Cire brûlant sous d'autres cires,
conduis-moi, je te prie, vers cette vitre à l'horizon,
pousse avec moi cette légère et coupante cloison,
vois comme nous passons sans peiner dans l'obscur empire... "

Puis rends grâce brûlante à la voisine de la nuit.

Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, nrf Poésie / Gallimard

dimanche 26 décembre 2010

Amore (1)

Martial Raysse, Nissa Bella, 1964, 180x120x15

Ludovic Janvier (6)

Je t'ai rencontrée cette nuit
en traversant un pays clair
dans mon rêve soleil et fraîche
avec un goût de commencement

ton amoureux avait un bras cassé
tu murmurais qu'avec le temps
c'est moi que tu allais choisir
je t'ai crue et je t'attends

je t'attends malgré le réveil
ton sourire est resté dans l'air
avec pour trace le chagrin
léger là qui me serre le cœur

Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

samedi 25 décembre 2010

Ludovic Janvier (5)

Martial Raysse, Nu jaune et calme, 1963, 97x130


Promeneuses des lenteurs

venues pour nous fendre l'âme

Une fille me disant
fais de moi ce que tu veux
mets-toi nue je lui demande
et marche en venant vers moi

que ta peau fasse lumière
laissant bouger le nid d'ombre
où je chercherai plus tard
pour ce qui est du velours
je le tiens de ta démarche
tu le promets pas à pas

nue pour me crever les yeux
nue pour faire l'évidence
nue en marche et qui rapproche
le mystère d'être là

puis advienne que pourra
je te mange tu me bois
à moins que rien ne se fasse
sauf l'éternité qui passe
l'éternité de l'instant
pris dans l'enfance de voir

Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

jeudi 23 décembre 2010

Ludovic Janvier (4)



Toute la mer qui bat contre la peau
le ciel qui change l'eau des regards
derrière des yeux toujours des yeux
qui me cherchent à perpétuité
ces fatigues de fumée
me couchant même debout
ce corps allant vers son ombre

c'est moi qui cherche après moi


Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

Ludovic Janvier (3)

A supposer que les oiseaux se taisent
toujours une branche craque au bord de l'écoute

à supposer que le bois ne s'étire pas
toujours on y devine une rumeur de vent

à supposer qu'on n'entende plus le moindre souffle
dans le calme il y a toujours un bruit qui se prépare

à supposer que l'imminent demeure imperceptible
il y a ce bruit de voix que fait la pensée

à supposer que la pensée elle aussi renonce
il reste ce murmure en moi parce que je t'attends

à supposer qu'un jour je renonce à t'attendre
le silence écoutera toujours venir la fin d'attendre

Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

mercredi 22 décembre 2010

Ludovic Janvier (2)

......Le ciel est partout sous la peau

...............................2

Deuil pour deuil cri pour cri foutre à foutre
ouvre-toi sous le sourire ouvre ta tombe
de pleine chair offerte à qui saura
et que ça croule en parfums sur la bouche
et que ça crève en soleils sur les yeux
et que ça batte eau légère au bout des doigts
chacun lourd aux mains de l'autre chacun léger
puisque chacun s'échappe à son tour laisse en gage
un membre ou deux qui pèse en travers du cœur
chaque histoire à son tour jetée à la fournaise
et puis chacune ralentie jusqu'au presque sommeil
et que l'oubli passe à quatre mains sur nos mémoires

Ludovic Janvier, La mer à boire, nrf Poésie / Gallimard

Ludovic Janvier (1)

...........Ce rien douceur

Encore une fois tu manges à la blessure
elle est exactement ce rien de douceur
où reste à briller rose la chair
grande offerte qu'on croyait vouloir

Or brusquement comme une preuve
le goût vous quitte on reste enfoui
à finir son devoir de tendresse
quand on était parti sauvage pour savoir

Et te voilà puni par les yeux
puisqu'il faut les fermer pour bien faire
puis les fermer pour voir
à quel point voir est impossible

Tu ne choisiras pas entre voir et lécher
l'un vous aveugle et l'autre vous oublie
ou se relèvera sans rien comprendre
gamin toujours à figure barbouillée

Je ne connais que les mots pour faire l'ombre
loin du sexe ouvert sur moi tombé des nues
loin de l'odeur qui fait sourire et retient prisonnier
une eau calme venant qui ressemble au sommeil

Ludovic Janvier, La mer à boire, nrf Poésie / Gallimard

lundi 20 décembre 2010

Anna Akhmatova (7)


Tes yeux de lynx, Asie,
Ont en moi décelé quelque chose,
Ont défié la part enfouie,
Née du silence -
Quelque chose d'aussi pénible et pesant
Que l'ardeur de midi à Termez.
Comme si toute l'arrière mémoire,
Lave bouillante,
S'était ruée dans ma conscience :
Comme d'aller boire mes larmes
Dans les paumes d'un autre.

......1945

Modigliani, Nu (Akhmatova)

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (6)

Le chemin du jardin maritime s'assombrit,
La lumière jaune des réverbères fraîchit.
Je suis très calme. Seulement il ne faut pas
Me parler de lui.
Tu es gentil, fidèle, et nous serons amis...
Se promener, s'embrasser, vieillir...
Au-dessus de nous, les mois légers
Voleront comme étoiles de neige.

.... 1914


Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (5)

.......................................................................à B. Anrep

Comme une pierre blanche au fond d'un puits
Sommeille en moi un souvenir.
Je ne peux, je ne veux pas lutter :
Il est fête, il est douleur.

Qui plongera dans mes yeux
Aussitôt le verra, je crois,
Et deviendra plus sombre, plus songeur
Que s'il écoute une histoire triste.

Je sais que les dieux ont changé
Des hommes en choses sans tuer leur conscience,
Pour que vivent à jamais de merveilleux chagrins,
Ta métamorphose dans ma mémoire !

.... 5 juin 1916. Slepniovo

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Fabienne Swiatly (3)

......STIMMLOS
...
Der himmel schaut sie an
et le ciel la regarde
sie fühlt die warme luft
zwischen ihren beinen
le ciel la regarde
elle sent l'air chaud
entre ses jambes
keiner kann sie sehen
alleine ist sie
aber doch nicht einsam
et si personne ne peut la voir
elle ne se sent pas seule pour autant

...

Sie will ein anderes mädchen sein
weit vom werk
loin de l'usine
weit von hier
loin d'ici
und nie wieder weinen
nur gross will sie werden
grandir
seulement grandir
und weit fort gehen
et partir loin
...

Fabienne Swiatly, Sans voix - Stimmlos, Editions En Forêt / Verlag Im Wald

dimanche 19 décembre 2010

Anna Akhmatova (4)

.......A propos des poèmes

.....................................à Vladimir Narbout

Ce sont les picotements de l'insomnie,
C'est la mèche des cierges tordus,
C'est le premier coup, le matin,
De cent blancs campaniles...

C'est l'appui tiède de la fenêtre
Au clair de lune à Tchernigov
C'est le mélicot et l'abeille,
Poussière, ombre et canicule.

............Avril 1940. Moscou

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (3)

.......Le 9 décembre 1913

Les jours les plus sombres de l'année
Doivent s'éclairer.
Je ne trouve pas de mots pour dire
La douceur de tes lèvres.

Seulement, ne lève surtout pas les yeux,
Ménage ma vie.
Plus clairs que les premières violettes,
Ils sont pour moi mortels.

A présent j'ai compris. Inutiles, les mots,
Les branches sous la neige, si légères...
L'oiseleur a déployé ses filets
Sur les rives du fleuve.

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (2)













J'ai cessé de sourire.
Le vent glacé me gèle les lèvres,
Un espoir de perdu,
Une chanson de gagnée.
La voilà, cette chanson,
Jetée aux rires, aux blâmes.
Elle est intolérable
La douleur du silence amoureux.

.........17 mars 1915. Tsarskoïe Selo

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Fabienne Swiatly (2)

......STIMMLOS

Parler
parler avec
la langue enfouie
la langue égarée
la langue refusée
pas la langue silencieuse
pas la langue bâillonnée
non
la langue
tenue à distance
la langue parlée
par la mère
muttersprache
la langue allemande
la langue aphone

Parler
tenter
quelque chose
avec la langue maternelle
was mit der muttersprache
ouvrir la bouche
ouvrir le passage
mund öffnen
laisser venir
ce que la mémoire peut
ce que la mémoire veut
retrouver
l'entre-deux-langues
retrouver
ce qui est resté
was geblieben ist
...

Fabienne Swiatly, Sans voix - Stimmlos, Editions En Forêt / Verlag Im Wald

Fabienne Swiatly (1)

.......STIMMLOS

...
l'usine
das werk
Wendel Sidélor
Amnéville
und
et
ma mère - allemande
ma mère
meine mutter
...

La femme allemande
a rejoint l'ouvrier français
après la guerre
nach dem krieg
in Frankreich
...

Le travail du père
et ma mère
jeune et belle
jung und schön
l'allemand
la langue de ma mère
muttersprache
MUTTERSPRACHE
je comprends l'allemand
je l'écoute
j'écoute ma mère
elle pleure
souvent
sie weint
heimweh
heimweh ça ne se traduit pas
ma mère pleure en allemand
le pays éloigné
ma mère pleure
la langue des perdants
...

Die deutsche frau
schön und jung
meine deutsche mutter
mein vater
werkarbeiter
le père
ouvrier de l'usine
chez de Wendel
arbeiter
ouvrier

Je ne sais pas dire l'allemand
je ne sais pas dire ne pleure pas
je ne sais pas dire weine doch nicht M
je ne sais pas dire
les mots qui rapprochent
je dis tu fais chier mamam
je dis arrête
arrête de pleurer
y a rien à pleurer

...

la langue de la mère refusée
des sentiments perdus
weit weg muss die mutter bleiden
keine deutschen wörter
in meinem mund
la mère sur l'autre rive avec sa langue
la mère au loin
la mère très loin
et moi la langue des vainqueurs
Frankreich - vaterland
français - la langue du père

Fabienne Swiatly, Sans voix - Stimmlos, Editions En Forêt / Verlag Im Wald

lundi 6 décembre 2010

landscape (5)