lundi 27 décembre 2010

Philippe Jaccottet (7)

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L'AVEU DANS L'OBSCURITÉ

Les mouvements et les travaux du jour cachent le jour.
Que cette nuit s'approche et dévoile donc nos visages.
Une porte a peut-être été poussée en ces parages,
une étendue offerte en silence à notre séjour.

Parle, amour, maintenant. Parle, qui n'avais plus parlé
depuis des ans d'inattention ou d'insolence.
Emprunte à la légère obscurité sa patience
et dis ceci, telle une haleine dans les peupliers :

" Une douceur ardente en ce lieu me fut accordée,
nul ne m'en disjoindra qu'il ne m'arrache aussi la main,
je n'ai pas d'autre guide qui me guide en ce chemin,
sa fraîcheur et ses feux brillent tour à tour sur les haies... "

Mais que reste caché ce qui fait notre compagnie,
amour : c'est le plus sombre de la nuit qui est clarté,
innombrable est la source de nos gestes entêtés,
au plus bas de la terre est le vol ombreux de nos vies.

Dis encor, seulement : " Cire brûlant sous d'autres cires,
conduis-moi, je te prie, vers cette vitre à l'horizon,
pousse avec moi cette légère et coupante cloison,
vois comme nous passons sans peiner dans l'obscur empire... "

Puis rends grâce brûlante à la voisine de la nuit.

Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, nrf Poésie / Gallimard