samedi 31 décembre 2011
Guillevic (10)
lundi 26 décembre 2011
Lorand Gaspar (4)
brodée dans les chambres je ne sais plus
quelles chambres j'y promène des théières
et des branches d'arbres déshabillées
le thé fume ou peut-être le jardin
peut-être aussi le fond des icônes
la légèreté des choses perçue à l'oreille
la peau se plisse par endroits
la porcelaine de la tasse se refroidit
on attend
les fenêtres deviennent couleur aubergine
puis referment la nuit
Lorand Gaspar, Sol absolu et autres textes, Poésie/Gallimard
dimanche 25 décembre 2011
samedi 24 décembre 2011
Ernst Jandl (1)
machet auf den türel
machet auf den türel
dann kann herein das herrel
dann kann herein das herrel
froe weihnacht
froe weihnacht
und ich bin nur ein hund
froe weihnacht
froe weihnacht
und ich bin nur ein hund
Ernst Jandl, lechts und rinks gedichte statements peppermints, Luchterhand Literaturverlag
chant de noël d’ernst jandl
ouvrez la poporte
ouvrez la poporte
pour qu’il entre
pour qu’il entre
mon seigneur et mémaître
joyel nono
joyel nono
et je ne suis qu’un chien
joyel nono
joyel nono
et je ne suis qu’un chien
Ernst Jandl, groite et dauche, trad. de l’allemand (Autriche) Lucie Taïeb, Atelier de l’Agneau.
vendredi 23 décembre 2011
Adrian Stokes (2)
Chaque ouverture, chaque console, chaque parapet de pont, chaque rebord et chaque épontille, les jointures même des pavés ont quelque chose de sincère. Oui, les fenêtres recueillent avec reconnaissance les cris qui traînent sur l'eau et caressent les florissants contreforts des murs.
Adrian Stokes, Venise, Le Promeneur
jeudi 22 décembre 2011
Adrian Stokes (1)
Il n'est pas douteux que les peintres vénitiens ont été inspirés dans l'usage de la peinture à l'huile par l'accomplissement des verriers de Murano. Les Vénitiens ont conçu la forme comme illuminée de l'intérieur, vivante, la surface de l'objet empreinte d'un éclat qui adoucit ses contours.
Adrian Stokes, Venise, Le Promeneur
Alex Grillo (1)
Santa Margherita, une des places où le son se propage d'une manière ouverte... San Polo, il se referme... Santo Stefano, il est tout en longueur... Santa Maria Formosa, il se concentre près des maraîchers.
Les bons diesels des vaporetti vénitiens sont dans les graves et les motoscafi aussi... c'est comme la cloche du Campanile de San Marco à minuit : du grave, des basses, des bases, des fondations...
Alex Grillo, Venise/ Bali. Sons. Rapport d’Étape.
mercredi 21 décembre 2011
Lorand Gaspar (3)
il y a deux ou trois bateaux très blancs
où manque la nuit —
fenêtres où rêvent
des îles enfouies dans les yeux.
O tant de nuit mangée à blanc
nous avions aussi un destin de fenêtre
où quelqu'un a crié de joie —
le silence le port au soir
deux ou trois bateaux très blancs
où manque la nuit —
Lorand Gaspar, Sol absolu et autres textes, Poésie/Gallimard
Georg Trakl (2)
IN VENEDIG
Stille in nächtigem Zimmer
Silbern flackert der Leuchter
Vor dem singenden Odem
Des Einsamen;
Zaubrisches Rosengewölk.
Schwärzlicher Fliegenschwarm
Verdunkelt den steinernen Raum
Und es starrt von der Qual
Des goldenen Tags das Haupt
Des Heimatlosen.
Reglos nachtet das Meer.
Stern und schwärzliche Fahrt
Entschwand am Kanal.
Kind, dein kränkliches Lächeln
Folgte mir leise im Schlaf.
CHANT DE L'ISOLÉ
À VENISE
Calme dans la chambre nocturne.
D’argent scintille le bougeoir
Devant l’haleine fredonnante
Du solitaire ;
Magie des nuages de roses.
Une nuée de mouches noires
Obscurcit le pierreux espace ;
Et l’œil fixé sur l’agonie
Des dorures du jour : la tête
De l’apatride.
Sans mouvement fait nuit la mer.
Étoile et voyage noirâtre
Ont disparu dans le canal.
Enfant, ton rire maladif
M’a suivi doux dans le sommeil.
Georg Trakl, Poèmes II, GF Flammarion
samedi 3 décembre 2011
Georges Perros (3)
et qu'une eau nouvelle retrouve
cailloux bloqués dans un ruisseau
qui attendiez l'autre printemps
pour reprendre l'âpre aventure
je ne vous imaginais plus
et vous me redonnez à vivre
Que suis-je quand vous n'êtes pas ?
Georges Perros, Une vie ordinaire, Poésie/Gallimard
mercredi 30 novembre 2011
Eugénio de Andrade (10)
C'est un de tes plus jolis sourires
cet hiver
répandu dans les sables.
Par la véranda
il est entré
avec l'écume des voix d'enfants.
Et comme les chats sur les toits
à s'en aller ne tardera.
Eugénio de Andrade, Matière solaire suivi de Le poids de l'ombre et de Blanc sur Blanc, Poésie/Gallimard
dimanche 27 novembre 2011
Eugénio de Andrade (9)
É um sopro de animal ferido
entrar dentro de ti — o tempo só
da luz atravessar
a sombra lancinante da cintura.
C'EST UN SOUFFLE
C'est un souffle d'animal blessé
qui pénètre en toi — juste le temps
pour la lumière de traverser
l'ombre lancinante des hanches.
Eugénio de Andrade, A l'approche des eaux, Éditions de la différence
Eugénio de Andrade (8)
A manhã às vezes fica muito longe.
Perco-me então por caminhos de água.
Na língua que te despe o sol
Respira rente à relva.
AINSI PARFOIS
Le matin reste parfois très lointain
Je me perds alors par les chemins de l'eau
Dans la langue qui te dénude le soleil
respire au ras de l'herbe
Eugénio de Andrade, A l'approche des eaux, Éditions de la différence
jeudi 24 novembre 2011
Nicolas Bouvier (5)
Depuis François-Xavier le Saint
tous les corbeaux du Hokaïdo parlent latin
Un... deux... trois
ils comptent les clous de la Croix
sur la mer qui n'a pas d'oreilles.
Ville ? planches, cabanes, perches à filets !
mais ce soir c'est plein de lanternes
parce que deux étoiles s'épousent
De l'Extrême-Nord à l'Extrême-Sud
des écoliers en noir et des lampions huilés
Unité de l'Empire !
Le porc dans ce bistrot a un fort goût de chien
le cuisinier chinois est trop loin de sa Chine
il retrouve un dragon dans chaque chou qu'il
tranche
et boit son fonds, les yeux ailleurs...
C'est hier qu'on a crevé les yeux du voyageur.
Wakanaï, Nord-Japon, 1965
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Éditions Zoe
dimanche 20 novembre 2011
Nicolas Bouvier (4)
Si vous voulez
peignez haut dans l'air sec vos icônes de neige
entourez-les de majuscules ornées
pendant que les flocons fondent sur votre langue
alléluia !
Moi j'ai d'autres affaires
je traverse en dormant la nuit hémisphérique
derrière le velours de l'absence
je retrouve à tâtons l'amande d'un visage
soie ancienne
les yeux couchés dedans
fenêtres où je t'ai vue tant de fois accoudée
frêle et m'interrogeant
comme un signe ou comme un présage
dont on n'est pas certain d'avoir trouvé le sens
Le chant vert du loriot ne sait rien du silence
Nord-Japon, hiver 1966
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Éditions Zoe
samedi 19 novembre 2011
Nicolas Bouvier (3)
Un peu de gris, un peu de pluie
et c'en est déjà presque trop
il faut chanter si bas pour t'endormir
Circé du bord des larmes
frêle et fragile comme tu l'es
parfois je me demande
d'où te viennent ces larges richesses d'ombre
et dans quels jeux silencieux tu t'égares
avec cette soie dévidée dans le noir
sans doute ne sais-tu pas toi-même
pour quelle lumière inconcevable
tu as préparé tant de nuit
auberge aveugle du chagrin
ouverte et jamais pleine
mon beau bémol
ma douce haine
ton secret, tes couleurs
tes veines
où j'habite et retiens ma voix
Nakano-ku, Tokyo, février 1965
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Éditions Zoe
Nicolas Bouvier (2)
J'avais oublié qu'ici
Maman corneille fait "ha-ha-ha"
et que Papa corbeau lui répond grossièrement
"Ouais-ouais-ouais"
Voix quasi humaines et rires malveillants
qui tournent en dérision ce quartier
pris dans la dérive blanche du sommeil
Très loin un vélo grince
et j'entends dans mes os les mollets qui protestent
Silence
puis c'est un chat rauque profond plaintif
sans réponse ni écho
Silence
trois notes aigres de "shamisen" comme découpées à la scie
Silence
La paix ne me rejoindra plus
je suis revenu sur ma trace
(...)
Le ciel alors blanchit
les dormeurs se retournent et soupirent
les bruits se réveillent et se croisent
et comme toujours dès cet instant
on n'y comprend plus rien
Kyoto, juin 1965-1997
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Éditions Zoe
vendredi 18 novembre 2011
Nicolas Bouvier (1)
Il brassait à bons pas la neige fondue
ce fils du Dieu Unique
en grommelant une chanson
il est monté dans la voiture
turban tout de travers
lourde pétoire à la ceinture
et s'est remis à chantonner
Je me souviens
le fleuve était en crue
le ciel gorgé de pluie s'étirait comme une bête
sur d'interminables friches noires
L'outarde, la cigogne
et tout ce que j'ai aimé ensuite
y nichaient déjà en secret
Sur la berge d'en face
pas plus grand qu'un i minuscule
quelqu'un nous adressait des signes
"on ne passe plus !"
L'averse m'a rincé le cœur
elle l'a tordu comme une éponge
alors le seul fait d'être au monde
remplissait l'horizon jusqu'aux bords
C'est l'heure où Belzébuth
n'a plus le choix des armes
et vide les lieux en blasphémant
J'ai vu son landau noir aux lanternes de cuivre
disparaître dans le silence des saules
Mais moi je suis resté
suis resté longtemps là
les bottes bien ancrées dans le limon doré
rôdeur ensorcelé
trop ébloui
pour oser faire un pas
Mahabad - Genève, 1981
Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, Éditions Zoe
lundi 7 novembre 2011
Tomas Tranströmer (3)
C'est parce que le ciel est gris
que la terre s'est mise à briller :
les prairies et leur verdure timide,
le sol labouré et noir comme du sang caillé.
Il y a là les murs rouges d'une grange.
Et des terres submergées
comme les rizières lustrées d'une certaine Asie —
où les mouettes s'arrêtent et se souviennent.
Des creux de brume au milieu de la forêt
qui doucement s'entrechoquent.
L'inspiration qui vit cachée
et s'enfuit dans les bois comme Nils Dacke.
Tomas Tranströmer, Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Poésie/Gallimard
dimanche 6 novembre 2011
Erri de Luca (7)
Autrefois, je voyais des lettres éparses entre les branches d'un arbre, sur les vitres mouillées, tracées par le vol des mouches. J'étudiais les alphabets de la Méditerranée pour élargir le catalogue des signes et comprendre toute cette semence d'écriture. Dans les points étoilés de l'univers nos ancêtres ont vu des figures, des bêtes, des chariots, moi je découvrais des lignes d'alphabets. Le monde était écrit, le premier homme n'inventait pas les noms, il les lisait. Sur la matière demeurent les traces résiduelles de cette rédaction, des monogrammes qui ont résisté à un effacement général. La voix rauque de la maison parlait avec ces lettres, prononçait des syllabes simples. Les soirs de tempête, quand je redoutais la force du ciel sur les animaux et les arbres, les murs marmonnaient une complainte et m'apaisaient.
Erri de Luca (6)
J'ai beaucoup parlé seul. Soudain une phrase sortait de ma bouche. Je la disais à la maison qui attendait ma voix. J'ai vécu si longtemps à l'intérieur d'elle qu'un échange s'est établi entre ses pierres et moi. Je sens que je fais partie d'une nature minérale commune. Son silence est le mien, il est intérieur. Le silence du dehors, de la campagne, total certains soirs de brouillard, ne ressemble pas au nôtre capable d'absorber les sons, quand même ma respiration et les battements de mon cœur se dissipent et que je ne les perçois plus. La maison me répond. Sa voix n'appartient pas aux hommes : elle jaillit de la pierre volcanique des murs, née au temps où l'écorce terrestre était en fusion et la matière mère de toutes choses. C'est une voix qui a bouillonné dans les fleuves de feu jaillissant en gerbes de la mare des cratères. Quant le vent balaie sa poussière, l'asperge de gouttes grises et bleues, la pierre murmure des comptines. Parfois c'est un timbre sonore où je distingue des syllabes incohérentes, d'autres fois je comprends des phrases entières. Mon oreille s'est exercée à écouter les pierres. (...)
Erri de Luca, Acide, Arc-en-ciel, Gallimard/Folio
dimanche 30 octobre 2011
lundi 24 octobre 2011
Tomas Tranströmer (2)
Et la nuit coule
d'est en ouest à
la vitesse de la lune.
~~
Les orchidées.
Des pétroliers glissent au loin.
C'est la pleine lune.
Tomas Tranströmer, Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004, Poésie/Gallimard
dimanche 16 octobre 2011
Ito Naga (3)
Une fois la conversation terminée, elle ne raccroche pas tout de suite le téléphone. Elle attend quelques secondes pour laisser ce moment se dissiper.
Comme dans le haïku de la vieille mare de Bashô. On entend le silence qui revient pendant que se dissipent les ronds dans l'eau.
(...)
Ito Naga, Iro mo ka mo, la couleur et le parfum, Cheyne éditeur
dimanche 9 octobre 2011
Ito Naga (2)
Tant de lumière qu'il n'y avait rien d'autre à faire que dormir.
D'autres jours, absorbée par le bleu de la mer comme le raconte un poète de Kyushuu :
Hai made no aoki
Umi no tabi
Bruit des vagues
Bleu jusque dans les poumons
Lors de ce voyage en mer
Un bleu qui apparait furtivement, caché sous la surface de l'eau lorsqu'on quitte Kagoshima vers le sud.
Au bord de la mer, elle tend la main vers la vague qui arrive comme si elle s’apprêtait à caresser un animal farouche.
As-tu remarqué que le creux de la vague crée une vague de lumière sur le fond de la mer ?
Trois couleurs : turquoise, émeraude, et sombre.
(...)
Ito Naga, Iro mo ka mo, la couleur et le parfum, Cheyne éditeur
Ito Naga (1)
A la hauteur de son cou, le col blanc d'une sous-veste fait une transition douce entre le kimono et la peau.
Parfois, la sous-veste d'un kimono est plus somptueuse que le kimono lui-même. Il arrive qu'on l'aperçoive lors d'un coup de vent ou d'un déhanchement.
Iki (le chic) ne consiste pas à montrer ostensiblement mais plutôt à laisser découvrir. Comme cette belle étoffe de soie cachée au revers d'une veste.
En japonais, on dit de la beauté qu'elle remplit l'air (kaoru). A la façon d'une senteur.
Et bien plus qu'une senteur trop forte, ce ne sont souvent que quelques molécules flottant dans l'air qui rappellent un souvenir et font frémir le coeur.
L'encolure si gracieuse derrière la nuque de la femme en kimono n'est pas trop ouverte.
(...)
Ito Naga, Iro mo ka mo, la couleur et le parfum, Cheyne éditeur
Séféris (2)
Huile sur les membres,
peut-être odeur rance
comme ici sur le pressoir à huile
de la petite église
dans les pores grossiers
de la pierre arrêtée.
Huile sur la chevelure
couronnée d'une corde
peut-être aussi d'autres parfums
que nous n'avons pas connus
pauvres et riches
et statuettes aux doigts
offrant de petits seins.
Huile au soleil :
les feuilles ont frémi
à l'arrêt de l'étranger
et le silence s'est alourdi
entre les genoux.
Les monnaies sont tombées ;
"Au nom de la déesse..."
Huile sur les épaules
et sur la taille qui a fléchi
chevilles tachetées dans l'herbe
et cette plaie dans le soleil
alors qu'on sonnait les vêpres
alors que je parlais dans la cour
avec un estropié.
Georges Séféris, Journal de bord, traduit du grec par Vincent Barras, Éditions Héros-Limite
Séféris (1)
Et tu vois la lumière du soleil comme disaient les anciens.
Pourtant je croyais toutes ces années que je voyais
marchant entre la montagne et la mer
conversant avec les hommes aux cuirasses parfaites ;
étrange, je n'avais pas remarqué que je voyais seulement leur voix.
C'était le sang qui les forçait à parler, le bélier
que j'égorgeais et étendais à leurs pieds
mais la lumière n'était pas le fameux tapis rouge.
Tout ce qu'ils me disaient il fallait que je le palpe
comme lorsqu'on te cache traqué la nuit dans une étable
ou que tu atteins enfin le corps aux profonds replis d'une femme
et que la chambre est pleine d'odeurs étouffantes ;
tout ce qu'ils me disaient peau écorchée et soie.
Étrange, je la vois ici la lumière du soleil ; le filet d'or
où les choses frétillent comme les poissons
qu'un grand ange ramène
avec les filets des pêcheurs
Georges Séféris, Journal de bord, traduit du grec par Vincent Barras, Éditions Héros-Limite
samedi 8 octobre 2011
jeudi 6 octobre 2011
Tomas Tranströmer
Las de tous ceux qui viennent avec des mots
Des mots, mais pas de langage,
Je partis pour l'île recouverte de neige.
L'indomptable n'a pas de mots !
Ses pages blanches s'étalent dans tous les sens.
Je tombe sur les traces de pas d'un cerf dans la neige
Pas des mots, mais un langage.
Tomas Tranströmer. Baltiques, traduit du suédois par Jacques Outin. Poésie / Gallimard
dimanche 2 octobre 2011
dimanche 25 septembre 2011
Mario Rigoni Stern (2)
Cher Jacopo,Mario Rigoni Stern, En attendant l'aube, Lyon : La fosse aux ours.
Une fois encore je suis descendu de la montagne pour revoir tes chefs-d’œuvre. Je suis allé à nouveau les regarder attentivement et, la nuit dernière, je n'ai pas dormi parce que j'avais en tête tes peintures qui me faisaient réfléchir. Les yeux fermés, j'essayais de distinguer les figures : ce n'était pas celles de personnages, mais d'hommes, de femmes, de jeunes, d'enfants, d'animaux, d'arbres, de maisonnettes, de montagnes, de ciels de notre région. J'avais l'impression de reconnaître dans ces bergers, paysans, artisans, aubergistes, des visages sur lesquels mettre un nom de famille. Dans ces paysages, je retrouvais le profil de telle montagne, l'ombre de telle forêt, la lumière de telle clairière, les pommes de tel pommier. Les moutons mêmes étaient de chez nous, de race "foza", et les vaches, les burline". De même les chiens, les chats, la vaisselle, les meubles. Plus que tout autre, tu as vu en nous et au-delà du paysage. A la fin de la nuit, j'ai glané un peu de sommeil en pleine aurore, après avoir reçu la lumière de l'aube par la fenêtre. Au dessus de la montagne, il y avait ta lumière. (...)
samedi 24 septembre 2011
samedi 17 septembre 2011
Erri de Luca (6)
Tu parles des marches et je pense à celles que nous creusons pour monter, la trace laborieuse dans la neige dure, entamée coup après coup par le piolet. Nous fabriquons un escalier qu'une heure de neige peut effacer, derrière nous les marches se referment. C'est beau de ne pas laisser de trace. Si je pense que les pas des premiers astronautes sur la Lune ont laissé des empreintes qui sont encore là par manque de vent et de pluie, je bénis les miens qui se recouvrent.
Erri de Luca, Sur les traces de Nives, Gallimard
dimanche 12 juin 2011
Erri de Luca (5)
Salgo alle montagne dove mette distanza dal trabocchetto-botola
delle tue gocce, mare. (...)
Je monte sur les montagnes où je me tiens à distance de la chausse-trape
de tes gouttes, mer. Je vais sur la glace et la neige,
j'effrite sous mes pas les infinis cristaux hexagonaux,
pour naufrage j'ai l'avalanche et la crevasse,
pour asphyxie l'oxygène qui en haut se raréfie et essouffle.
Je lève le dernier pas qui dépose au sommet
où l'au-delà n'est plus sol, mais air. Maim, shamaim, eaux, cieux ;
l'hébreu des déserts remonte de la rime à la substance commune : maim, shamaim.
Nous sommes faits de ça, d'eau et d'air, comme les comètes,
mais sans cycle de réapparition et cela suffit
comme réconfort et congé.
Erri de Luca, Oeuvre sur l'eau, Trad. Danièle Valin, Poésie/Seghers
mercredi 8 juin 2011
Guillevic (9)
Décidément personne
Dans tout l'espace de la lande
Autour de toi, et rien que l'air,
Il fallait bien
Que ce soit avec lui,
Avec cet air
Que tu dialogues —
Ou avec rien.
Guillevic, Agrestes, in RELIER, poèmes 1938 - 1996, Gallimard
dimanche 5 juin 2011
samedi 4 juin 2011
Carolyn Carlson (2)
LEAVE FOR QUIET CLOSE DOWN YOUR MIND
LEAVE FOR MOUNTAIN CLOSE DOWN YOUR REASON
LEAVE FOR INTUITION CLOSE DOWN YOUR GUILT
LEAVE FOR LOVE. LEAVE EVERYTHING
Carolyn Carlson, brins d'herbe, Actes Sud
vendredi 3 juin 2011
Yuki Honda (2)
胸元にいつも風ある薄衣
munamoto ni itsumo kaze aru usu-goromo
Sur mon sein
je porte toujours le vent —
Kimono léger
Yuki Honda, in La lune et moi. Haïkus d'aujourd'hui, Points
Yuki Honda (1)
はたとひとり夕蝉の火の声を浴び
hatato hitori yu-zemi no hi no koe o abi
Les chants des cigales m'encerclent
pareils à des étincelles —
Soudain seule
ほんだゆき
Yuki Honda, in La Lune et moi. Haïkus d'aujourd'hui, Points
Carolyn Carlson (1)
holds the head
that bends
Le vent et la vague
soutiennent la tête
qui penche
Carolyn Carlson, Brins d'herbe, Actes Sud
dimanche 22 mai 2011
Erri de Luca (4)
Je regarde le ciel depuis l'enfance, depuis que la postière m'a dit que si on regarde les bois les yeux prennent leur vert. Elle, elle les avait noirs à force de lire les adresses. Moi, pour les garder clairs, je me suis mis à fixer les cieux. Il y a si longtemps qu'ils voyagent sur mes yeux, traversent leur champ, en franchissant les cils. Quelle chance de se trouver sous leur gratis, de ne pas voir un mur, une serrure, une haie. Je suis vieux et je ne comprends plus ni les gendarmes ni les voleurs.
dimanche 15 mai 2011
Mario Rigoni Stern (1)
. Une peau de mouton lui couvrait les genoux, maintenant que le poids des ans et les premiers froids de l'automne lui donnaient des douleurs. De temps à autre, d'un geste de la main, il envoyait sa chienne préférée surveiller le troupeau qui paissait un peu plus bas, et quand il avait consciencieusement scruté, jusque dans le moindre détail, le Gruppo di Brenta, l'Adamello et la Presanella, les lointaines montagnes qui marquaient la frontière avec la Suisse et l'Autriche, alors il se tournait pour recevoir le soleil de l'autre côté de son corps et commençait à méditer sur la Cime XII et sur l'Ortigara.
. Il connaissait chaque tranchée, chaque emplacement de mitrailleuse, chaque abri creusé dans le roc. Il savait où avaient été installés les batteries, les cuisines, les maréchaleries où l'on ferrait les mulets, les postes de soins et les petits hôpitaux de campagne ; les cimetières, jusqu'aux plus petits, où il avait enseveli ses camarades après les combats. En 1917, c'était un jeune alpin (...)
Philippe Jaccottet (11)
Le ciel s'est éclairé de nouveau, mais le soleil ne l'emporte plus sur la fraîcheur portée par le vent, entretenue par l'assemblée des arbres, nourrie par l'ombre, par la terre. Peu de bruits animent cette heure, ils ne s'élèvent que par intervalles, pareils aux soupirs, aux paroles incompréhensibles qui échappent à l'homme endormi : c'est la corne d'une voiture, le bourdonnement d'un moteur ; le cri d'un coq ; une voix de femme, indistincte ; d'autre voix, plus lointaines encore ; le froissement d'un journal sur les pierres. C'est l'heure, c'est l'énigme. Quelle lenteur, à peine brusquée par le vol des oiseaux ! Quel miroitement là-bas sur les eaux, immobile !
Ainsi les choses, ainsi le monde tour à tour salue ou se détourne, nous attire ou nous abandonne.
"Je voulais regrouper ces fuyantes lueurs, ne pas les laisser m'échapper..."
Mauro Fabi (1)
qui meurt lequel
retient encore un peu ses feuilles
cette grâce distante que seul ce
qu'on abandonne affecte de posséder
ces couleurs implicites qu'ont les choses
quand elles s'achèvent
la vie qui est autour de lui dans le bois
le chant des branches et l'horizon
la vallée,
le spectacle incroyable
antique et nouveau d'un crépuscule.
La struggente bellezza di un albero
che muore il suo
trattenere ancora un poco le foglie
quella grazia distante che solo cio
que si abbandona mostra di possedere
quei colori impliciti che hanno le cose
quando si esauriscono
la vita che gli sta intorno nel bosco
il canto delle fronde e l'orizzonte
la valle,
lo spettacolo incredibile
antico e nuovo di un tramonto.
Mauro Fabi, trad. Olivier Favier, Le domaine des morts - Il dominio dei morti, alidades/bilingues
mardi 3 mai 2011
Florac (2)
La pente se raidit
Mon cœur bat plus vite
Ma pensée s'assouplit.
Puis la douceur du col
Mon cœur ne bat (presque) plus.
Je suis (presque) en paix.
La descente est volupté
La pluie — sensuelle — exhale les odeurs de la terre
Le vent — léger — excite les feuilles au vert tendre.
Florac, Aux confins, Horizons.
lundi 2 mai 2011
Erri de Luca (3)
Le pin des Alpes est capable de se diviser en deux branches principales, impossible pour le sapin ou le mélèze. Le tronc de celui qui est là-haut a deux bras levés, parallèles, dont un pour la foudre. Il sait qu’il sert de cible, la hauteur solitaire l’implique. Il est né de la décharge qui a tué le tronc précédent. Le feu du ciel est son deuxième père. (…)
Quand le nuage s’épaissit, tout gris, qu’il s’ébouriffe autour de la montagne, un courant passe comme un frisson à la surface. Si l’alpiniste se trouve là, il le sent glisser sur lui, une caresse de coton imbibé qu’on frotte sur la peau avant la seringue. La foudre est précédée d’une friction du ciel sur la terre.
Le pin des Alpes connaît le frémissement qui éclaire ses branches d’une auréole. A ce moment, il cesse de respirer, de faire monter la lymphe : il incline ses aiguilles et attend. Il arrive que le nuage se déplace pour décharger ailleurs sa fièvre. L’éclatement sur d’autres rochers est le signe qu’on peut de nouveau respirer.
Entre un arbre et un homme, la conversation tourne autour des histoires de foudre. Je raconte les miennes. (…)
En montagne, il existe des arbres héros, plantés au-dessus du vide, des médailles sur la poitrine des précipices. Tous les étés, je monte rendre visite à l'un d'entre eux. Avant de partir, je monte à cheval sur son bras au-dessus du vide. L'air libre sur des centaines de mètres vient chatouiller mes pieds nus. Je l'embrasse et le remercie de sa durée.
Erri de Luca, Visite à un arbre, in : Le poids du papillon, Gallimard
dimanche 1 mai 2011
Philippe Jaccottet (10)
Parler donc est difficile, si c’est chercher… chercher quoi ?
Une fidélité aux seuls moments, aux seules choses
qui descendent en nous assez bas, qui se dérobent,
si c’est tresser un vague abri pour une proie insaisissable….
Si c’est porter un masque plus vrai que son visage
pour pouvoir célébrer une fête longtemps perdue
avec les autres, qui sont morts, lointains ou endormis
encore, et qu’à peine soulèvent de leur couche
cette rumeur, ces premiers pas trébuchants, ces feux timides
... — nos paroles :
bruissement du tambour pour peu que l’effleure le doigt inconnu…
Philippe Jaccottet, Chants d’en bas, dans À la lumière d’hiver, Gallimard
vendredi 29 avril 2011
jeudi 28 avril 2011
dimanche 17 avril 2011
lundi 11 avril 2011
Segalen (2)
LA PASSE
Deux mondes s’abouchent ici. Pour ici monter, quels obstacles ! quelle refoulée des caravanes ! quels gains répétés ! quels espoirs !
M'y voilà, dis-tu ? Souffle. Regarde : à travers l'arche de la Longue-Muraille, toute la Mongolie-aux-herbes déploie son van au bord de l'horizon.
C'est toutes les promesses : la randonnée, la course en plaine, l'ambleur à l'étape infinie, et l'évasement sans bornes, et l'envolée, la dispersion.
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Tout cela ? Oui. Mais regarde une fois en arrière : l’âpre montée, le rocailleux désir, l’effort allègre et allégeant.
Tu ne le sentiras plus, la Passe franchie. Ceci est vrai.
dimanche 10 avril 2011
Segalen (1)
Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.
(...)
Victor Segalen, Stèles