vendredi 31 décembre 2010

Hermann Hesse (3)

...
In meinen Becher mit Wein ist ein Falter geflogen,

Trunken ergibt er sich seinem süßen Verderben,
Rudert erlahmend im Naß und ist willig zu sterben ;
Endlich hat ihn mein Finger herausgezogen.
...

Un papillon tombé dans ma coupe de vin
Au suave trépas se résigne et s'enivre ;
Déjà prêt à mourir, il nage encore en vain
Jusqu'à ce que mon doigt l'ôte enfin, le délivre.
...

Hermann Hesse, Poèmes choisis et traduits par Jean Malaplate, José Corti

jeudi 30 décembre 2010

landscape (6)


Puis vient enfin ce qui pourrait vaincre notre détresse,
l'air plus léger que l'air et sur les cimes la lumière,
peut-être les propos d'un homme évoquant sa jeunesse,
entendus quand la nuit s'approche et qu'un vain bruit de guerre,
pour la dixième fois vient déranger l'exhalaison des champs.
Jules Supervielle

Jules Supervielle (3)

...
C'est vous quand vous êtes partie,
L'air peu à peu qui se referme
Mais toujours prêt à se rouvrir
Dans sa tremblante cicatrice
Et c'est mon âme à contre-jour
Si profondément étourdie
De ce brusque manque d'amour
Qu'elle n'en trouve plus sa forme
Entre la douleur et l'oubli.
Et c'est mon cœur mal protégé
Par un peu de chair et tant d'ombre
Qui se fait au goût de la tombe
Dans ce rien de jour étouffé
Tombant des astres, goutte à goutte,
Miel secret de ce qui n'est plus
Qu'un peu de rêve révolu.

Jules Supervielle, La Fable du monde, suivi de Oublieuse mémoire, nrf Poésie / Gallimard

Jules Supervielle (2)

LA MER

C'est tout ce que nous aurions voulu faire et n'avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole et n'a pas trouvé les mots qu'il fallait,
Tout ce qui nous a quitté sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser par le fer sans jamais l'atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues parce qu'il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes par goût fondamental de l'éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore,
La mer.
Jules Supervielle, La Fable du monde, suivi de Oublieuse mémoire, nrf Poésie / Gallimard

mercredi 29 décembre 2010

Jules Supervielle (1)

.
...DANS L'OUBLI DE MON CORPS

Dans l'oubli de mon corps
Et de tout ce qu'il touche
Je me souviens de vous,
Dans l'effort d'un palmier
Près de mers étrangères
Malgré tant de distances
Voici que je découvre
Tout ce qui faisait vous.
Et puis je vous oublie
Le plus fort que je peux
Je vous montre comment
Faire en moi pour mourir.
Et je ferme les yeux
Pour vous voir revenir
Du plus loin de moi-même
Où vous avez failli
Solitaire, périr.

Jules Supervielle, La Fable du monde, suivi de Oublieuse mémoire, nrf Poésie / Gallimard

mardi 28 décembre 2010

Philippe Jaccottet (8)

...

Il y aura toujours dans mon œil cependant

une invisible rose de regret
comme quand au-dessus d'un lac
a passé l'ombre d'un oiseau


...* * *

Et des nuages très haut dans l'air bleu
qui sont des boucles de glace

la buée de la voix
que l'on écoute à jamais tue


Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, nrf Poésie / Gallimard

lundi 27 décembre 2010

Philippe Jaccottet (7)

..
........
L'AVEU DANS L'OBSCURITÉ

Les mouvements et les travaux du jour cachent le jour.
Que cette nuit s'approche et dévoile donc nos visages.
Une porte a peut-être été poussée en ces parages,
une étendue offerte en silence à notre séjour.

Parle, amour, maintenant. Parle, qui n'avais plus parlé
depuis des ans d'inattention ou d'insolence.
Emprunte à la légère obscurité sa patience
et dis ceci, telle une haleine dans les peupliers :

" Une douceur ardente en ce lieu me fut accordée,
nul ne m'en disjoindra qu'il ne m'arrache aussi la main,
je n'ai pas d'autre guide qui me guide en ce chemin,
sa fraîcheur et ses feux brillent tour à tour sur les haies... "

Mais que reste caché ce qui fait notre compagnie,
amour : c'est le plus sombre de la nuit qui est clarté,
innombrable est la source de nos gestes entêtés,
au plus bas de la terre est le vol ombreux de nos vies.

Dis encor, seulement : " Cire brûlant sous d'autres cires,
conduis-moi, je te prie, vers cette vitre à l'horizon,
pousse avec moi cette légère et coupante cloison,
vois comme nous passons sans peiner dans l'obscur empire... "

Puis rends grâce brûlante à la voisine de la nuit.

Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, nrf Poésie / Gallimard

dimanche 26 décembre 2010

Amore (1)

Martial Raysse, Nissa Bella, 1964, 180x120x15

Ludovic Janvier (6)

Je t'ai rencontrée cette nuit
en traversant un pays clair
dans mon rêve soleil et fraîche
avec un goût de commencement

ton amoureux avait un bras cassé
tu murmurais qu'avec le temps
c'est moi que tu allais choisir
je t'ai crue et je t'attends

je t'attends malgré le réveil
ton sourire est resté dans l'air
avec pour trace le chagrin
léger là qui me serre le cœur

Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

samedi 25 décembre 2010

Ludovic Janvier (5)

Martial Raysse, Nu jaune et calme, 1963, 97x130


Promeneuses des lenteurs

venues pour nous fendre l'âme

Une fille me disant
fais de moi ce que tu veux
mets-toi nue je lui demande
et marche en venant vers moi

que ta peau fasse lumière
laissant bouger le nid d'ombre
où je chercherai plus tard
pour ce qui est du velours
je le tiens de ta démarche
tu le promets pas à pas

nue pour me crever les yeux
nue pour faire l'évidence
nue en marche et qui rapproche
le mystère d'être là

puis advienne que pourra
je te mange tu me bois
à moins que rien ne se fasse
sauf l'éternité qui passe
l'éternité de l'instant
pris dans l'enfance de voir

Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

jeudi 23 décembre 2010

Ludovic Janvier (4)



Toute la mer qui bat contre la peau
le ciel qui change l'eau des regards
derrière des yeux toujours des yeux
qui me cherchent à perpétuité
ces fatigues de fumée
me couchant même debout
ce corps allant vers son ombre

c'est moi qui cherche après moi


Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

Ludovic Janvier (3)

A supposer que les oiseaux se taisent
toujours une branche craque au bord de l'écoute

à supposer que le bois ne s'étire pas
toujours on y devine une rumeur de vent

à supposer qu'on n'entende plus le moindre souffle
dans le calme il y a toujours un bruit qui se prépare

à supposer que l'imminent demeure imperceptible
il y a ce bruit de voix que fait la pensée

à supposer que la pensée elle aussi renonce
il reste ce murmure en moi parce que je t'attends

à supposer qu'un jour je renonce à t'attendre
le silence écoutera toujours venir la fin d'attendre

Ludovic Janvier, Une poignée de monde, nrf Gallimard

mercredi 22 décembre 2010

Ludovic Janvier (2)

......Le ciel est partout sous la peau

...............................2

Deuil pour deuil cri pour cri foutre à foutre
ouvre-toi sous le sourire ouvre ta tombe
de pleine chair offerte à qui saura
et que ça croule en parfums sur la bouche
et que ça crève en soleils sur les yeux
et que ça batte eau légère au bout des doigts
chacun lourd aux mains de l'autre chacun léger
puisque chacun s'échappe à son tour laisse en gage
un membre ou deux qui pèse en travers du cœur
chaque histoire à son tour jetée à la fournaise
et puis chacune ralentie jusqu'au presque sommeil
et que l'oubli passe à quatre mains sur nos mémoires

Ludovic Janvier, La mer à boire, nrf Poésie / Gallimard

Ludovic Janvier (1)

...........Ce rien douceur

Encore une fois tu manges à la blessure
elle est exactement ce rien de douceur
où reste à briller rose la chair
grande offerte qu'on croyait vouloir

Or brusquement comme une preuve
le goût vous quitte on reste enfoui
à finir son devoir de tendresse
quand on était parti sauvage pour savoir

Et te voilà puni par les yeux
puisqu'il faut les fermer pour bien faire
puis les fermer pour voir
à quel point voir est impossible

Tu ne choisiras pas entre voir et lécher
l'un vous aveugle et l'autre vous oublie
ou se relèvera sans rien comprendre
gamin toujours à figure barbouillée

Je ne connais que les mots pour faire l'ombre
loin du sexe ouvert sur moi tombé des nues
loin de l'odeur qui fait sourire et retient prisonnier
une eau calme venant qui ressemble au sommeil

Ludovic Janvier, La mer à boire, nrf Poésie / Gallimard

lundi 20 décembre 2010

Anna Akhmatova (7)


Tes yeux de lynx, Asie,
Ont en moi décelé quelque chose,
Ont défié la part enfouie,
Née du silence -
Quelque chose d'aussi pénible et pesant
Que l'ardeur de midi à Termez.
Comme si toute l'arrière mémoire,
Lave bouillante,
S'était ruée dans ma conscience :
Comme d'aller boire mes larmes
Dans les paumes d'un autre.

......1945

Modigliani, Nu (Akhmatova)

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (6)

Le chemin du jardin maritime s'assombrit,
La lumière jaune des réverbères fraîchit.
Je suis très calme. Seulement il ne faut pas
Me parler de lui.
Tu es gentil, fidèle, et nous serons amis...
Se promener, s'embrasser, vieillir...
Au-dessus de nous, les mois légers
Voleront comme étoiles de neige.

.... 1914


Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (5)

.......................................................................à B. Anrep

Comme une pierre blanche au fond d'un puits
Sommeille en moi un souvenir.
Je ne peux, je ne veux pas lutter :
Il est fête, il est douleur.

Qui plongera dans mes yeux
Aussitôt le verra, je crois,
Et deviendra plus sombre, plus songeur
Que s'il écoute une histoire triste.

Je sais que les dieux ont changé
Des hommes en choses sans tuer leur conscience,
Pour que vivent à jamais de merveilleux chagrins,
Ta métamorphose dans ma mémoire !

.... 5 juin 1916. Slepniovo

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Fabienne Swiatly (3)

......STIMMLOS
...
Der himmel schaut sie an
et le ciel la regarde
sie fühlt die warme luft
zwischen ihren beinen
le ciel la regarde
elle sent l'air chaud
entre ses jambes
keiner kann sie sehen
alleine ist sie
aber doch nicht einsam
et si personne ne peut la voir
elle ne se sent pas seule pour autant

...

Sie will ein anderes mädchen sein
weit vom werk
loin de l'usine
weit von hier
loin d'ici
und nie wieder weinen
nur gross will sie werden
grandir
seulement grandir
und weit fort gehen
et partir loin
...

Fabienne Swiatly, Sans voix - Stimmlos, Editions En Forêt / Verlag Im Wald

dimanche 19 décembre 2010

Anna Akhmatova (4)

.......A propos des poèmes

.....................................à Vladimir Narbout

Ce sont les picotements de l'insomnie,
C'est la mèche des cierges tordus,
C'est le premier coup, le matin,
De cent blancs campaniles...

C'est l'appui tiède de la fenêtre
Au clair de lune à Tchernigov
C'est le mélicot et l'abeille,
Poussière, ombre et canicule.

............Avril 1940. Moscou

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (3)

.......Le 9 décembre 1913

Les jours les plus sombres de l'année
Doivent s'éclairer.
Je ne trouve pas de mots pour dire
La douceur de tes lèvres.

Seulement, ne lève surtout pas les yeux,
Ménage ma vie.
Plus clairs que les premières violettes,
Ils sont pour moi mortels.

A présent j'ai compris. Inutiles, les mots,
Les branches sous la neige, si légères...
L'oiseleur a déployé ses filets
Sur les rives du fleuve.

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Anna Akhmatova (2)













J'ai cessé de sourire.
Le vent glacé me gèle les lèvres,
Un espoir de perdu,
Une chanson de gagnée.
La voilà, cette chanson,
Jetée aux rires, aux blâmes.
Elle est intolérable
La douleur du silence amoureux.

.........17 mars 1915. Tsarskoïe Selo

Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. La Dogana.

Fabienne Swiatly (2)

......STIMMLOS

Parler
parler avec
la langue enfouie
la langue égarée
la langue refusée
pas la langue silencieuse
pas la langue bâillonnée
non
la langue
tenue à distance
la langue parlée
par la mère
muttersprache
la langue allemande
la langue aphone

Parler
tenter
quelque chose
avec la langue maternelle
was mit der muttersprache
ouvrir la bouche
ouvrir le passage
mund öffnen
laisser venir
ce que la mémoire peut
ce que la mémoire veut
retrouver
l'entre-deux-langues
retrouver
ce qui est resté
was geblieben ist
...

Fabienne Swiatly, Sans voix - Stimmlos, Editions En Forêt / Verlag Im Wald

Fabienne Swiatly (1)

.......STIMMLOS

...
l'usine
das werk
Wendel Sidélor
Amnéville
und
et
ma mère - allemande
ma mère
meine mutter
...

La femme allemande
a rejoint l'ouvrier français
après la guerre
nach dem krieg
in Frankreich
...

Le travail du père
et ma mère
jeune et belle
jung und schön
l'allemand
la langue de ma mère
muttersprache
MUTTERSPRACHE
je comprends l'allemand
je l'écoute
j'écoute ma mère
elle pleure
souvent
sie weint
heimweh
heimweh ça ne se traduit pas
ma mère pleure en allemand
le pays éloigné
ma mère pleure
la langue des perdants
...

Die deutsche frau
schön und jung
meine deutsche mutter
mein vater
werkarbeiter
le père
ouvrier de l'usine
chez de Wendel
arbeiter
ouvrier

Je ne sais pas dire l'allemand
je ne sais pas dire ne pleure pas
je ne sais pas dire weine doch nicht M
je ne sais pas dire
les mots qui rapprochent
je dis tu fais chier mamam
je dis arrête
arrête de pleurer
y a rien à pleurer

...

la langue de la mère refusée
des sentiments perdus
weit weg muss die mutter bleiden
keine deutschen wörter
in meinem mund
la mère sur l'autre rive avec sa langue
la mère au loin
la mère très loin
et moi la langue des vainqueurs
Frankreich - vaterland
français - la langue du père

Fabienne Swiatly, Sans voix - Stimmlos, Editions En Forêt / Verlag Im Wald

lundi 6 décembre 2010

landscape (5)



dimanche 28 novembre 2010

Manufacture (2)

Manufacture (1)

jeudi 4 novembre 2010

lundi 1 novembre 2010

Cnossos






















En regardant une opale grise
je me rappelai deux beaux yeux gris
que je vis, il y a vingt ans peut-être...

(...)

Constantin Cavafy, Poèmes, Ed. Héros-Limite

samedi 30 octobre 2010

jeudi 28 octobre 2010

Constantin Cavafy (1)

J'ai tellement fixé la beauté
que mes yeux en sont pleins.

Lignes des corps, lèvres rouges, membres voluptueux.

Chevelures comme empruntées
à des statues grecques ; toujours belles
même si en désordre, et qui tombent,
un peu, sur la blancheur des fronts.
Visages de l'amour comme les voulait mon art...

Dans les nuits de ma jeunesse,

dans mes nuits, furtivement rencont
rés...

Constantin Cavafy,
Poèmes, Ed. Héros-Limite

lundi 25 octobre 2010

dimanche 24 octobre 2010

Erri De Luca (2)


.....Nous mangeons doucement en silence.
....Devant la nourriture, mes gestes se font plus lents. Làila se met à mon rythme et je vois son adagio prendre une grâce intense. Mon désir de la toucher s'accentue.
....Puis je sens que sa voix s'effrite, comme les sons au seuil du sommeil. Je l'entends me demander quelque chose et je lui réponds d'une seule partie de moi-même. L'autre, dans laquelle je me trouve, écoute la voix s'en aller, sans gouverne.
....Je commence par une musique, puis viennent des phrases d'une vie lointaine et je suis impuissant à les arrêter.
....Ils nous massacrent tous, ceux de la révolte.
....Nous giclons d'une cachette à l'autre.
....Nous portons sur nous l'odeur de la peur. Dans la rue, les chiens le sentent et nous suivent.
....Dans la fuite nous cherchons une vengeance.
....L'Argentine arrache une de ses générations au monde comme le fait une folle avec ses cheveux. Elle tue sa jeunesse, elle veut s'en passer. Nous sommes les derniers.
....Je suis ici depuis des années pour aimer une femme et maintenant je suis en guerre.
...
Erri de Luca, Trois chevaux, Gallimard

samedi 23 octobre 2010

Erri De Luca (1)


J'attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la mouche.
J'attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux vieux qui s'aiment.
J'attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui aujourd'hui vaut peu de chose.
J'attache de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de souliers, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s'asseoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J'attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache de la valeur au voyage du vagabond, à la clôture de la moniale, à la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J'attache de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il existe un créateur.
Bien de ces valeurs, je ne les ai pas connues.

Erri De Luca, Œuvre sur l'eau,
Poésie Seghers

jeudi 21 octobre 2010

Hilde Domin (1)


Vogel mit Wurzeln

Meine Worte sind Vögel
mit Wurzeln

immer tiefer
immer höher
Nabelschnur.

Der Tag blaut aus
die Worte sind schlafen gegangen.

Oiseaux à racines

Mes paroles sont des oiseaux
à racines

toujours plus profondes
toujours plus hautes
cordon ombilical.

Le bleu du jour s’épuise
les mots sont allés dormir

Hilde Domin, traduit de l’allemand par Marion Graf, La Revue de Belles-Lettres, 2010, 1-2

mercredi 20 octobre 2010

Fabio Pusterla (6)

Dove porta questa strada che nessuno più imbocca,
strada appena intuibile, sentiero
d'erbacce?
...

Où mène cette route où plus personne ne s'engage,

route que l'on devine à peine, sentier
de mauvaises herbes ?
Ici les gens roulaient sur le ventre, ricanant,
et l'on entendait des cris, de douleur aussi.

(Elle existe, elle existe même sans nous,
la possibilité d'un chemin .
Il faudra se tapir dans l'herbe, oublier quelque chose,
et toi, peur maudite,
nous devrons bel et bien te vaincre.)

Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes

mardi 19 octobre 2010

Fabio Pusterla (5)


De ceux qui regardent la mer,

il en arrive chaque jour. Hommes en fuite.
Souvent ils restent en voiture,
ouvrant avec peine une fenêtre.
Mais l'un d'entre eux descend,
fume lentement appuyé à la balustrade.
Une demi-heure, une heure. Cela dépend. Puis il repartent,
repoussant avec soin le sable de leurs vêtements.
Pourtant il en reste toujours quelques traces
aux endroits les plus incongrus : sous le col,
derrière les oreilles, sur les paupières parfois.
Plus tard, il arrive à certains
de ne pas savoir où ils sont allés,
et encore moins pourquoi.

Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes

dimanche 17 octobre 2010

Fabio Pusterla (4)

.........Paesaggio

Qui piove per giorni interi, talvolta per mesi.
I sassi sono neri d'acquate,
i sentieri pesanti.
...

Ici, il pleut des jours entiers, parfois des mois.
Les pierres sont noires d'averses,

les sentiers lourds.
...

Fabio Pusterla, Les choses sans histoire, Ed. Empreintes

Sandro Penna (2)

Désert est le fleuve. Et tu sais qu'à présent
les solaires prouesses ne sont plus de saison.
Je baise dans tes aisselles, humides et fiers,
les parfums d'un été qui finit.

Sandro Penna, Poésies, Grasset, Les cahiers rouges

Sandro Penna (1)

Dans l'aube pluvieuse s'en est allé
mon amour d'un pas joyeux.
Je l'ai vu tourner l'angle, et de son dernier pas
une fois encore le cœur il m'a baisé.

La grisaille cède, la rue cède
devant la lumière de ses seize ans.
La grisaille cède, le temps cédera
à une lumière, pauvre mendiant que je suis.

Sandro Penna, Poésies, Grasset, Les cahiers rouges

samedi 16 octobre 2010

Chin Kuan (1)

.........Prenant le frais

canne à la main je sors en quête de la fraîcheur des saules

sur la berge au sud du pont laqué, je m'allonge dans une chaise pliante
sous la lune claire, d'une barque le son d'une flûte s'élève

le vent se calme, sur l'étang le suave parfum des lotus


L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel

Po Chu-yi (1)

...........Début d'automne, nuit solitaire

du paulownia près du puits, dans la fraîcheur les feuilles frémissent
du battoir à linge du voisin, dans l'automne le bruit s'élève
seul dans la véranda je m'endors
quand je me réveille, sur la moitié du lit le clair de lune

L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel

Lu Yu (1)

.............Le nouvel automne

le vent d'automne souffle comme une flûte claire
à la taverne la bannière est hissée, on peut y acheter à crédit
je chante joyeusement en traversant le petit marché
à mon chapeau bas est épinglée une fleur sauvage
une fille de la rivière me garde des crabes frais
un vieux jardinier m'offre des courges tardives
qui devinerait que, vieillard oisif,
je fais de ma vie une longue ivresse ?

L'art de la sieste et de la quiétude. Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Albin Michel

jeudi 14 octobre 2010

Tricky - Hakim

Tricky - Murder weapon

lundi 11 octobre 2010

Kiki Dimoula (4)

...........Calchas

Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'aide la nuit à s'agrandir,
à s'élargir,
à effacer les petites lumières parasites.

Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'exerce de noirs c'est exclu
je lance des c'est exclu exercés
qui déchirent quelques dernières étoiles.

Je ne dors pas, je ne dors pas,
je change de sexe, deviens minuit.
Où me mèneras-tu, abattement,
je te retrouverai quelque part
puisque j'ai prêté serment d'insomnie.
Mes doses de somnifères
dorment comme des anges
et mon cerveau qui veille
les berce tout doucement.

Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'aide la nuit à s'agrandir,
j'écris des slogans aux murs des rêves :
à bas les levers du jour des élevages de poules,
à bas les magouilles des espérances
"et on vous construira des maisons
et on vous fera des routes
et on vous apportera la pluie
et du vent, et du vent".

Je ne dors pas, je ne dors pas,
j'attends un dernier vieux fond d'obscurité
pour entrer chez le devin Calchas.
Je vais le tuer.
Il m'a plongé dans tout un sacrifice
pour que tu respires.
Mais toi, insomnie, tu te niches
sur chaque prophétie
en prenant bien ton temps.

Kiki Dimoula, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, nrf, Poésie/Gallimard

Bleus

samedi 2 octobre 2010

dimanche 26 septembre 2010

landscape (3)

"Pour les Anglais qui l'ont théorisé au XVIIIe siècle, un paysage pittoresque est un paysage composé comme une peinture. Il faudra alors que l'art du paysage s'efforce, par l'artifice, à tendre au naturel. Impossible mission, si les choses, la vie et le temps n'intervenaient pour composer ou décomposer des équilibres toujours changeants. Cette question des rapports mouvants de l'artefact et de la nature s'est aujourd'hui profondément réactivée avec l'écologie. Elle en dessine les divers avatars, qui oscillent entre les pôles extrêmes du construit et du naturel, de la forme et de l'informe, de la culture et de la barbarie, de l'innocence et de la faute."
Jean-Paul Robert, D'ARCHITECTURES 193 - septembre 2010

Maxence Rifflet (1)

Chemin des douaniers, Landemer, mai 2007, tirage argentique noir et blanc, 158,6 x 194 cm
http://www.maxencerifflet.com/

samedi 18 septembre 2010

mardi 14 septembre 2010

landscape (2)

samedi 28 août 2010

Pascal Quignard (7)

....Il n'y a pas de nudité humaine. L'autre de la fascination est le perdu.
....Culturels, éduqués, élevés, parlants, nous ne sommes plus nus. Le voudrions-nous, nous ne pouvons plus être nus.
....Mais nous pouvons nous dénuder.
....Corollaire I. La dénudation est possible au même titre que la désidération parce qu'elle en est un effet. L'une comme l'autre sont des traits de l'amour humain (les bêtes dans le plaisir ne peuvent pas plus se dénuder qu'elles ne peuvent se désidérer). En ce sens il faudrait dire que les bêtes ne désirent pas.
................*
....Corollaire II.
....Cela explique le regard des animaux.
....Le sérieux est le regard sidéré. Le regard rilkéen.
....Corollaire III.
....Tout regard sérieux est un regard sidéré.
................*
....Corollaire IV.
....Tout homme entièrement sérieux n'est pas humain.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 176-177

jeudi 26 août 2010

Pascal Quignard (6)

...........Chapitre XVI

............Desiderium

....J'ai longtemps cherché l'autre pôle de la fascination propre à la peinture romaine dans la poésie et dans la pensée latines sans l'y trouver. Quel pouvait être le pôle anti-magique qui s'opposerait à la fascination ? Qu'est-ce qui était capable de défasciner la sexualité romaine ? Qu'est-ce qui était capable de défasciner le fascisme ?
...
....
....Tout dans la littérature romaine ancienne emprisonnait dans l'enchantement dont on se défendait, dans la peur qu'on niait, dans la crainte des démons qu'on multipliait les fantômes, la honte, l'avant-programme du péché chrétien, les fiascos.
....Non seulement Ovide : aussi bien Lucrèce, ou Suétone, ou Tacite.
....Deux ans s'écoulèrent.
....Tout à coup, plus de deux années plus tard, avec une curieuse sensation de détresse qui se mêlait à l'évidence, je découvris que j'avais voyagé, que j'avais exploré en vain les sites antiques. ....Je surpris que je n'avais pas à chercher ce qui n'était pas à chercher. L'autre pôle était sous mes yeux.
....Voici la thèse que je veux défendre : c'est, très étrangement, le désir, à Rome, qui tient le pôle négatif.
....C'est le désir lui-même qu'il fallait opposer à la fascination.
....Là aussi, comme pour le mot de fascinus, il suffisait d'écouter le mot lui-même. Le mot qui me paraissait à moi, moderne — et moderne constamment fasciné par les thèses modernes — le plus positif qui pût être : le désir est négatif.
....Le désir n'est pas seulement un mot dont la morphologie est négative. Le désir nie la fascination.
....Le mot romain de desiderium est un nom négatif mystérieux.
....Désirer désidère.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 164-165

Pascal Quignard (5)


....
La fascination repose sur deux mots : bordure et débordement.
....Chaque soir devant Paestum la mer débordait dans la nuit.
....Nous descendions tous les soirs.
....C'est là que nous aimions dîner, dans l'air et le bruit de la mer.
....Avant de dîner, en buvant du vin, nous regardions la mer se décolorer à l'horizon, sur la ligne imperceptible du promontoire.
....Alors, dans cette beauté, nous dînions.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 138-139

Pascal Quignard (4)

...............Chapitre premier

....Les fleuves s'enfoncent perpétuellement dans la mer. Ma vie dans le silence. Tout âge est aspiré dans son passé comme la fumée dans le ciel.
....En juin 1993 M. et moi vivions à Atrani. Ce port minuscule est situé le long de la côte amalfitaine, sous Ravello. C'est à peine si l'on peut dire que c'est un port. A peine une anse.
....Il fallait monter cent cinquante-sept marches sur le flanc de la falaise. On entrait dans un ancien oratoire édifié par l'ordre de Malte et doté de deux terrasses en angle qui donnaient sur la mer. On ne voyait que la mer. On ne percevait partout que la mer blanche, mouvante, vivante, froide du printemps.
....Tout droit, en face, de l'autre côté du golfe, dans l'aube, parfois, de très rares fois, on apercevait la pointe de Paestum et les colonnes de ses temples qui cherchaient à s'élever, sur la ligne fictive de l'horizon, dans la brume et dans l'inconsistance.
....En 1993 M. était silencieuse.
....M. était plus romaine que les Romains (elle était née à Carthage). Elle était très belle. L'italien qu'elle parlait était magnifique. Mais M. allait avoir trente-deux ans et je me souviens qu'elle était devenue silencieuse.
....Il y a dans toute passion un point de rassasiement qui est effroyable.
...

Pascal Quignard, Vie secrète, nrf, Gallimard, p. 9-10

samedi 21 août 2010

Rip Hopkins (1)


voir : http://www.riphopkins.com/works/54

Hermann Hesse (2)

Bei Spezia

In großen Takten singt das Meer,
Der schwüle Westwind heult und lacht,
Sturmwolken jagen schwarz und schwer;
Man sieht sie nicht, es ist zu nacht.

Mir aber scheint: so tot und bang,
So ohne Trost und Sternegold
Durch schwüle Nacht und Sturmgesang
Sei auch mein Leben hingerollt.

Und doch ist keine Nacht so schwer
Und so voll Dunkels keine Fahrt,
Der nicht vom nahen Morgen her
Des Lichtes süße Ahnung ward.

Près de la Spezia

La mer en mesures égales
Chante. Le vent d'ouest hurle et rit,
Les nuées passent en rafales
Sans qu'on les voie : il fait trop nuit.

Et je songe qu'ainsi ma vie
Ténébreuse, sans réconfort,
Sauvage ouragan s'est enfuie
Dans l'âpre nuit, sans astre d'or.

Mais est-il nuit assez obscure
Ou voyage assez incertain
Pour n'être pas promesse sûre
D'un proche et lumineux matin ?

Hermann Hesse, Poèmes choisis et traduits par Jean Malaplate, José Corti

Hermann Hesse (1)

Höhe des Sommers

Das Blau der Ferne klärt sich schon
Vergeistigt und gelichtet
Zu jenem süßen Zauberton,
Den nur September dichtet.

Der reife Sommer über Nacht
Will sich zum Feste färben,
Da alles in Vollendung lacht
Und willig ist zu sterben.

Entreiß dich, Seele, nun der Zeit,
Entreiß dich deinen Sorgen
Und mache dich zum Flug bereit
In den ersehnten Morgen.

Mi-été

L'azur à l'horizon revêt,
Idéale et discrète,
Cette douceur que seul connaît
Septembre le poète.

Demain, l'été mûr va rougir
En couleur de liesse,
Car tout accepte de mourir,
Regorgeant de richesse.

Âme, dépouille-toi du temps,
Des soins de toute sorte,
Vers l'aurore que tu attends
Que ton aile t'emporte !

Hermann Hesse, Poèmes choisis et traduits par Jean Malaplate, José Corti

lundi 16 août 2010

landscape (1)

dimanche 15 août 2010

Jean Follain (1)

Pierres et corps

Des pierres de toujours
ou précieuses ou de foudre
des plus aigües qui tombent
sur le champ du voisin
de celles du bord des mers
les corps vivants s'inquiètent
dans leurs fourrures
et peaux
portant leurs réserves de sang
leurs yeux fragiles
et leurs membres qui cherchent.

Jean Follain, Exister suivi de Territoires, nrf, Poésie/Gallimard

lundi 9 août 2010

Paul Celan (4)

MITTAGS, bei
Sekundengeflirr,
im Rundgräberschatten, in meinen
gekammerten Schmerz
mit dir, Herbei-
geschwiegene, lebt ich
zwei Tage in Rom
von Ocker und Rot
kommst du, ich liege schon da,
hell durch die Türen geglitten, waagrecht :

es werden die Arme sichtbar, die dich umschlingen, nur sie. Soviel
Geheimnis
bot ich noch auf, trozt allem.

A MIDI, quand
vibrillent les secondes,
dans l'ombre des tombes rondes, tu viens dans
la chambre de ma douleur
avec toi, Convoquée
du silence, j'ai vécu
deux jours à Rome
d'ocre et de rouge
tu viens, je suis déjà couché là,
clair-glissée par les portes, horizontales :

alors deviennent visibles les bras qui t'enlacent, rien qu'eux. Tant j'ai
brandi de secret
encore, malgré tout.


Paul Celan, Renverse du souffle, Poésie/Points

samedi 7 août 2010

Paul Celan (3)

STEHEN, im Schatten
des Wundenmals in der Luft.

Für-niemand-und-nichts-Stehn.
Unerkannt,
für dich
allein.

Mit allem, was darin Raum hat,
auch ohne
Sparche.

TENIR DEBOUT, dans l'ombre
du stigmate des blessures en l'air.

Tenir-debout-pour-personne-et-pour-rien.
Non-reconnu,
pour toi
seul.

Avec tout ce qui a ici de l'espace,
et même sans
parole.

Paul Celan, Renverse du souffle, Poésie/Points